Un rendez-vous.

James et Joy

Les gens qui disent que la vie est un long fleuve tranquille ne sont jamais tombés malades. Ils n'ont jamais connus ce mal qui prend le contrôle de votre vie, qui remet tout en doute, tout en question, qui vous rend dépendant. Quand je suis venue vivre à Miami, il y a quelques temps, j'étais en pleine forme. Guérie, enfin, en rémission, comme on dit, car on ne guérit jamais vraiment d'une leucémie. La preuve, il y a environ 1 mois et demi, j'ai commencé à me sentir de nouveau mal, alors je suis repartie au Canada refaire des examens, et le verdict est tombé : j'ai rechuté. Ce mal me ronge de nouveau. Les médecins sont confiants pour ma guérison, mais tout de même, le risque 0 n'existe pas. Peut-être que dans quelques mois, je ne serais plus là. J'étais déjà pressée de vivre, mais là, c'est encore pire...

Ici, personne n'est au courant de ma maladie. Ni mes amis, ni mes collègues, personne, sauf mon patron et le corps médical de l'hôpital où je me fais soigner, en cachette de tous. Je ne veux pas qu'on me regarde avec pitié, comme une pauvre fille qui peut crever à tout moment. Je suis Joy Brennan, une femme redoutable, et je dois garder cette image. C'est tout ce qu'il me reste.

Assise à la table de ce café, j'attends mon ex petit ami, James. Voilà une chose que la maladie m'a enlevée, il y a quelques années déjà : ma vie de famille, avec lui et notre fils Logan. Alors, certes, je suis de nouveau malade, mais puisque je ne suis pas sûre de m'en sortir, je tiens absolument à connaître mon fils, à partager des moments avec lui, à le connaître. Et je suis prête à tout pour ça, James le sait. J'ai contacté un avocat, qui est prêt à valoir mes droits dès que je lui donne l'indication. Si cette histoire doit se régler devant les tribunaux, elle se réglera ainsi. Mais si elle se règle autrement, c'est tout de même mieux... J'attends beaucoup de ce rendez-vous avec James.

Notre dernière rencontre a été très tendue, en même temps, j'ai été la pire des garces, et je l'assume. J'espère tout de même que cette fois-ci, ça se passera mieux... Ah, tiens, justement, le voilà qui arrive. J'avale une nouvelle gorgée de mon chocolat chaud, en attendant qu'il s'installe.

Un rendez-vous.

James et Joy

J'essaie de ne rien montrer, mais je suis terriblement inquiète. Les effets de la maladie, je les ressens. Et je sais très bien que ça peut dégénérer du jour au lendemain. Ce mal est devenu maître de ma vie. Alors oui, j'ai peur. Peur de mourir avant d'avoir accompli tout ce que je voulais accomplir. Peur de mourir avant d'avoir connu et passé du temps avec mon fils. Peur de mourir seule, sans que personne ne sache rien. Mais d'un autre côté, eh bien... Je ne veux pas de la pitié des gens. J'ai peur que ça devienne de plus en plus difficile de cacher ça. Peut-être que j'aurais dû rester au Canada, après tout...

James s'installe face à moi, et je devine tout de suite qu'il est remonté à bloc, en colère. En même temps, la dernière fois, j'ai vraiment été la pire des garces, et je réalise seulement maintenant que ça n'était pas la solution. Il va falloir que je fasse profil bas, que je rabaisse ma fierté, pour que la situation s'arrange, je le sais. Je tiens vraiment à jouer un rôle dans la vie de mon fils... Pour l'instant, il est hors de question que je dise à James que je suis malade. Peut-être que je le ferais si ça dégénère, en même temps, je n'aurais pas le choix.

"Salut, James" Ma voix se veut déterminée, bien qu'un peu affaiblie. D'ailleurs, j'aurais de la chance s'il ne remarque pas, malgré mon maquillage, mon teint livide, mon regard malade. "A ce propos, je tenais à m'excuser pour la dernière fois." J'avalais ma salive. "J'ai vraiment été la pire des garces et je le regrette. Je suis sure que tu es un excellent père, et que Logan est un petit garçon bien élevé, épanoui avec toi. Tu dois être un excellent père, autant que moi, je suis une mère lamentable." J'ajoutais, dans un murmure : "Et je suis sûre que tu sauras bien t'occuper de lui s'il m'arrive un jour quelque chose..." J'espère qu'il ne l'a pas entendu, quelle idiote je fais ! "J'ai fait des erreurs impardonnables, mais aujourd'hui, tout ce qui compte pour moi, c'est d'être une bonne mère pour Logan, d'apprendre à connaître notre fils, et de jouer le rôle dans sa vie dont il a été privé durant des années..." Je fis un petit sourire "Et si ça peut se régler entre nous, cette histoire, ça serait quand même mieux..." Honnêtement, je ne me sens pas de taille à affronter un procès. Je suis bien trop affaiblie pour ça...

Un rendez-vous.

James et Joy

Peut-être que je n'ai pas raison de lui montrer mon côté plus humain. Mais en même temps, la Joy que j'ai été la dernière fois, avec lui, ce n'est pas vraiment moi. Et en plus, c'est vraiment la mauvaise stratégie, puisque ça l'a braqué, et ce n'est pas une bonne chose pour moi. Tout ce que je veux, c'est connaître mon fils... et pour ça, il faut que je m'entende plus ou moins bien avec son père, pas que je l'énerve. Un jour, je le sais, je devrais lui dire pour ma maladie. Il est en droit de savoir, même si son jugement me fait peur et que je sais que je ne supporterais pas sa pitié. Mais il le faut. Sauf que ça ne sera pas aujourd'hui. On est là pour parler de Logan, pas de moi. J'écoute ses reproches, qui sont parfaitement justifiés et complètement exacts. "Tu as totalement raison, James. Je te promets qu'un jour, je t'expliquerais tout. Mais aujourd'hui, je préfère qu'on parle de Logan, si tu n'y vois pas d'inconvénients." Ma tête commence à me tourner, alors je ferme les yeux quelques secondes pour que ça passe. Un des effets secondaires du traitement, ça peut surgir à tout moment, et bien souvent, ça passe... ou pas. Le temps de reprendre mes esprits, et je suis de retour à la conversation. "Désolée..." Je fis un petit sourire. "J'ai été lamentable, ça c'est clair. Et je ne demande qu'à me rattraper..." Déterminée, je reprends. "Aujourd'hui, tout ce qui m'importe, c'est d'avoir un rôle dans la vie de mon fils. Ce rôle de mère, de me rattraper. Je n'ai plus l'intention de disparaître, c'est du passé, ça... Je lui ai déjà fait trop de mal, il est hors de question que je lui en fasse davantage..." J'espère juste que la vie me laissera le temps de savourer ces moments dont j'ai toujours rêvé. Trêve de discussion, ma tête me tourne toujours autant. Il me faut quelque chose de sucré pour me redonner un peu de contenance. "Je vais me chercher un chocolat et quelque chose à manger, tu veux quelque chose ?" J'attrape mon portefeuille, et je me lève.

Premier vertige. Je me rattrape à la chaise, difficilement. Mais ça ne passe pas. Second vertige, je lâche le portefeuille qui s'écrase par terre. Troisième vertige, ma tête est lourde, tourne... Non, je ne peux pas... Je ne peux pas m'effondrer dans ce Starbuck, devant James, ce n'est pas possible, pas maintenant !

Mais ma tête est de plus en plus lourde, je ne contrôle plus rien, et en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, je me retrouve inanimée, sur le sol...

Un rendez-vous.

James et Joy

La maladie, ça change quelqu'un, je suis bien placée pour le savoir. L'audace, la confiance et ce brin de mesquinerie que j'avais il y a quelques moins ne sont plus qu'un lointain souvent. Désormais, cette leucémie me domine, elle contrôle toute ma vie, et ça, c'est assez difficile à vivre, alors je n'ai pas non plus envie d'en rajouter en me conduisant comme une vraie garce. Peut-être que je n'ai plus beaucoup de temps devant moi, alors je préfère l'user efficacement pour obtenir ce que je veux : jouer un rôle dans la vie de mon fils. Mais jamais je ne rattraperais le temps perdu, et ça, James est bien décidé à me le faire comprendre. "Je le sais, et ce n'est pas ce que je veux. Si la machine à remonter le temps existait, beaucoup l'utiliseraient." Nous en venons au sujet de notre rencontre. Logan. James me dit qu'il ne souhaite pas la garde partagée, ce qui est normal, et qu'il n'est pas prêt à me le confier les yeux fermés. Je ne peux pas lui en vouloir, j'agirais pareil à sa place ! "Je te rassure, ce n'est pas ce que je veux non plus." J'ajoutais. "Bien sûr que je rêve de vivre, un jour, avec mon fils, de l'élever comme une vraie mère, c'est mon souhait le plus cher. Mais j'ai été absente trop longtemps, et je suis prête à prendre mon temps pour apprendre à le connaître, à le découvrir... Je ne veux pas qu'il soit perturbé avec un quotidien chamboulé." En souriant, je répondis "Je viendrais avec plaisir, oui, c'est un très bon début. Merci, James." Après tout, cette méthode porte bien mieux ses fruits que la précédente... J'espère juste être assez en forme pour y aller. Je ferais tout pour ça. James doit voir que je suis de bonne foi... Et surtout, cette leucémie ne doit pas m'enlever ce moment, comme elle en a enlevé de nombreux autres ! Mais pour ça, j'ai besoin de force, et donc, de boire quelque chose de sucré et de manger. Après que James ait décliné ma demande, je me lève pour aller au bar, mais... Mon corps ne me suis pas, et en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, je suis là, sur le sol.

C'est assez perturbant de voir les gens se précipiter autour de soi alors qu'on est encore consciente. Car oui, je suis là, enfin, mentalement, mais physiquement, mon corps ne répond plus, et je n'arrive pas à reprendre son contrôle. Des malaises comme ça, j'en ai souvent, ça se dissipe bien vite. Mais en général, ça m'arrive soit chez moi, soit au boulot, mais jamais en public. Moi qui déteste être l'attraction principale... Les gens me regardent, je le sens, je le sais, comme une bête curieuse, une petite chose fragile, quand soudain, une voix forte leur ordonne de bouger. Je suis presque rassurée de reconnaître la voix de James. La foule se dissipe, le laissant s'occuper de moi. Je le sens prendre mon pouls, je le sens pousser mes cheveux, et tapoter mes joues, mais je n'arrive pas encore à revenir à la raison. Pourtant, je l'entends me parler, j'aurais envie de lui répondre, mais je ne peux pas.

Mon corps ne répond pas encore, mais je ne tarde pas à reprendre mes esprits. Ces minutes ou ces secondes je ne sais pas, m'ont paru interminables. Doucement, mes yeux s'ouvrent. Ouch, ma tête me fait mal, je les referme aussitôt, avant de les ouvrir de nouveau. Je n'arrive pas encore à bouger, mon corps est comme anesthésié. "Je... Je... Qu'est-ce qui s'est passé ?"

Un rendez-vous.

James et Joy

En partant la première fois, je savais pertinemment que je perdrais la confiance de James. En partant la deuxième fois, je savais que j’aggravais mon cas. Parfois je me dis que j'aurais dû me faire soigner ici, et puis j'imagine la tête de James et sa réaction s'il m'avait vu malade... Je m'imagine lire la peur dans ses yeux, l'amour qui laisse place à la pitié, et tout à coup, mes regrets s'en vont. J'imagine Logan qui grandit avec sa maman malade, qui souffre de ne pas avoir une vie normale... Il a du souffrir de mon absence mais je reste persuadée que ma présence lui aurait encore fait plus mal. Pauvre petit loup, qui grandit avec une maman malade et mal en point... Non, c'est mieux comme ça. Notre relation, on va la construire, petit à petit. James semble être étonné de ma réponse... C'est vrai que la dernière fois, je lui avais dit que j'allais prendre son fils - enfin, notre fils - et là, je lui dis que je ne veux pas d'une garde alternée... Il doit avoir du mal à me suivre. Je regrette vraiment d'avoir été si méchante la dernière fois. Mais l'avoir revu, comme ça, sans m'être préparée, ça m'a relancé en pleine figure toute la souffrance que j'avais enduré loin de lui et loin de Logan... "Je ne veux pas qu'il souffre non plus." Puis, j'ajoutais "Avant d'aller le chercher à la garderie, j'aimerais bien passer dans une boutique lui acheter un petit quelque chose... Tu pourras me conseiller s'il te plaît ?" J'avouais, honteusement "Je ne connais rien de ses goûts, de ce qu'il aime..." C'est horrible d'entendre ça de la bouche d'une mère. Je suis un monstre.

Tout cela me contrarie, et je sens le malaise arriver. Je veux aller m'acheter quelque chose pour redonner un peu de contenance à mon corps, mais je m'effondre avant. Les secondes me paraissent durer une éternité, et quand je me réveille dans les bras de James, je suis complètement sonnée encore. Je suis sûre que je suis au centre de l'attraction, et je déteste ça. Les gens curieux qui se nourrissent du malheur des autres, très peu pour moi. Alors j'essaie de me relever, mais je n'y arrive pas, ma tête me paraît si lourde... Je ré-essaie une nouvelle fois, et cette fois-ci, mon corps me répond. Je me relève, avec l'aide de James, et je retourne m'asseoir à la table. Ma tête me fait mal, je ne me sens pas très bien. "C'est rien... Ça m'arrive souvent en ce moment..." Trouve une raison, vite ! Tu ne vas quand même pas lui avouer que tu as une leucémie en plein Starbuck quand même... "Je fais de l'hypoglycémie en ce moment, du coup, quand je manque de sucre, je m'effondre comme ça mais rien n'est grave..." Je fis un petit sourire "Mais je reconnais que ça peut être surprenant..." Il me demande alors gentiment si je souhaite boire un verre d'eau ou manger quelque chose. Je reprends "Si tu pouvais me prendre une boisson et quelque chose de sucré ça serait vraiment gentil... ça m'éviterait un autre malaise." Mon portefeuille était toujours par terre. Je me baissais pour le ramasser, me reprenant en plusieurs fois tant ma tête me faisait mal, et je le tendis à James. "J'ai de la monnaie..." Je fis un petit sourire. "Désolée hein, je ne veux pas que tu croies que j'abuse mais si je me lève, je vais m'effondrer de nouveau" J'espère de tout cœur qu'une fois un peu de sucre introduit dans mon organisme, je me sentirais mieux, mais franchement, ce n'est pas garanti...