Le temps passait à vue d'œil. Déjà cinq mois que le calvaire était terminé pour Juliet, et les autres membres sauvés de la secte ce jour-là, et pourtant, la demoiselle n’avait pas la sensation qu’autant de mois s’étaient écoulés. Pour une personne extérieure à ce qu’elle avait vécu, oui, les conditions de vie dans cette secte étaient déplorables, pour ne pas dire inhumaines vis-à-vis de la gente féminine. Mais pour une personne ayant grandi dans ces conditions, ayant toujours connu celles-ci sans la moindre idée de ce qu’il pouvait y avoir dehors, c’était acceptable. Malgré tout le recul qu’elle prenait, Juliet n’arrivait pas à convenir que sa vie ait été un enfer sur les dernières années. Elle était en vie, plutôt en bonne santé, pas morte de faim. Sa vision était moins noire que celle que devait avoir son grand frère, et ce, malgré tout ce qu’il avait pu lui apprendre depuis sa libération. Les notions étaient d’ailleurs volumineuses, presque trop pour une seule et même personne. Ce nouveau monde était vaste, avec tellement de choses à découvrir. Que ce soit sur le plan géographique que matériel, il faudrait plus d’une vie à Juliet pour rattraper le temps perdu, s’il était possible qu’elle y arrive un jour. Elle se mettait la pression pour y parvenir, pour se façonner à l’image de celle qu’elle aurait dû être si des personnes mal intentionnées n’avaient pas eu l’horrible idée de la kidnapper lorsqu’elle n’était alors qu’une enfant innocente. Une pression parfois difficile à supporter, qui la poussait à baisser les bras, et presque ressentir des regrets d’avoir été sauvée. Dans ces moments-là, elle pouvait se tourner vers son seul véritable ami, à même de comprendre ce qu’il pouvait se tramer dans la tête de la jeune femme : Alec. Entre lui et Juliet, c’était une histoire ancienne, de plus d’une dizaine d’années. Elle l’avait connu avant d’être dégoûtée des hommes, si bien qu’il était le rare en qui elle avait une confiance aveugle, avec qui elle ne ressentait pas le besoin maladif de mettre de la distance physique dès qu’il bougeait. Il avait été un ami, un soutien, un confident, dès qu’elle en avait eu besoin dans la secte, car c’était bien là-bas qu’ils s’étaient connus. Des amis de galères, comme elle avait pu déjà entendre. Désormais à l’extérieur, Alec était un peu une bouée de sauvetage pour Juliet, dès qu’elle se sentait un peu trop perdue, et qu’elle avait besoin que quelqu’un l’aide à reprendre son souffle.

Toc toc toc. Le bruit si reconnaissable d’une personne donnant quelques coups sur le bois de la porte, pour signifier sa présence. La maison était vidée de ses habitants depuis le matin, à l’exception de Juliet qui ne bougeait pas tellement, surtout depuis sa dernière tentative qui l’avait conduit assez loin de la maison, et du quartier. La jolie jeune femme s’activait pour sortir du canapé, et se rendre jusqu’à la porte d’entrée afin de l’ouvrir, et d’y découvrir Alec derrière. Une vision qui n’avait rien de surprenant, car Juliet était à l’origine de cette visite, lui ayant demandé la veille par sms s’il avait du temps pour passer la voir. « Un visage familier. » dit-elle avec un sourire aux lèvres, tout en faisant un pas vers lui pour l’enlacer. Si les contacts physiques étaient difficiles pour Juliet, même avec son frère aîné Ugo, ce n’était pas le cas avec le jeune homme, qu’elle connaissait depuis plus de dix ans. Le voir était toujours une bouffée d’air frais, car il était tout ce qui lui restait de la secte. Aujourd’hui, elle devait évoluer dans un monde aux milliers d’inconnus, sans pouvoir se confier à aucun d'entre eux, car la confiance était un luxe qu’elle n’accordait encore à personne. Avec Ugo et April, c’était différent, car Juliet vivait sous le même toit qu’eux depuis quasiment sa libération. Elle avait eu le temps d’apprendre à les connaître, d’apprendre leur mode de vie, et de s’adapter au quotidien.
Juliet relâchait son ami, et l’invita à entrer dans la maison de son frère. Le fait de vivre dans le même quartier était une heureuse coïncidence, et une chance inestimable. Elle savait qu’il pouvait être présent de jour comme de nuit, si son emploi du temps le lui permettait. Bien sûr, Juliet n’en abusait pas, mais c’était réconfortant d’avoir cette donnée dans son esprit. « Est-ce que tu veux boire quelque chose ? » C’était un automatisme qu’elle avait appris depuis qu’elle était à Miami. Visiblement, dans cette société, on proposait toujours un rafraîchissement aux invités qui passaient le pas de la porte. Une fois la réponse d’Alec obtenue, Juliet fit un saut dans la cuisine pour récupérer ce qu’il fallait, avant de s’installer dans le salon pour que ce soit un peu plus confortable que de rester debout. « Je ne t’empêche de faire quelque chose d’important au moins, que ce soit dans les préparatifs du mariage, ou pour l’arrivée du bébé. Je pourrais comprendre que tu manques de temps libre, et je ne me vexerais pas. » De toute façon, c’était une réaction que Juliet avait très rarement, car elle n’avait pas encore bien percuté qu’elle pouvait désormais être contrariée, et l’exprimer. Là encore, c’était un luxe que les femmes n’avaient pas, là où ils vivaient avant.  

( Pando )

Alec avait beaucoup de chose en tête en ce moment. Entre le bébé qui allait bientôt arriver, le mariage qu’il fallait organiser et son boulot, il n’avait plus une minutes pour lui. Il avait repeint la chambre pour le bébé et monté les meubles pour être prêt à temps. Eileen avançait dans la grossesse et le bébé serait là plus vite qu’il ne le fallait pour le dire. Il avait peur que tout ne soit pas prêt mais finalement il avait tellement bien avancé que tout était en place. Maintenant ne restait plus que les centaines de questions qui se bousculait dans sa tête et qu’il ne préférait pas partager avec sa future femme pour ne pas l’angoisser. Malgré les échographies qui disaient que le bébé allait bien, il avait toujours peur qu’il ait quelque chose. Son premier fils qu’il avait eu avec sa défunte épouse avait eu de l’asthme et cela avait engendré sa mort même si s’était à cause de la secte. En parlant de la secte, Alec faisait encore des cauchemars. Même s’il savait que tout cela était terminé, il ne pouvait s’empêcher d’en cauchemarder. Il revoyait Sibbie, Juliet et tout les autres membres subir les pires horreurs. Il se revoyait lui-même subir les supplices de la secte et se réveillait généralement en hurlant. Cela réveillait tout le temps Eileen, et il s’excusait à chaque fois. Il voyait bien les plis d’inquiétude sur son doux visage mais il n’y pouvait rien. Malgré la thérapie il subissait encore chaque nuit ou presque. Et cette nuit n’avait pas fait exception, il en avait encore rêvé et s’était réveiller vers 5h du matin avec l’impossibilité de se rendormir. Il avait tourné dans le salon comme un lion en cage jusqu’à ce que sa fiancer se réveille. Ils avaient ensuite pris leur douche et avait grassement déjeuner. Il s’était ensuite préparé pour aller voir sa meilleure amie qui lui avait envoyer des sms la veille. Elle avait l’air de ne pas bien aller et il s’inquiétait pour elle. Il se souvenait a quel point cela avait été dur de s’intégré quand il s’était enfui quelques années plus tôt. Il espérait qu’elle avait moins de mal que lui qui était un peu asociale. Il enfila ses baskets, embrassa Eileen et sortie pour aller chez Juliet. Le chemin fut assez rapide et il toqua trois petit coup à sa porte. Elle arriva quelques seconde plus tard sans sourire. Il y avait bien à quelque chose qui n’allait pas. « Ravi de te voir aussi. » Les deux amis s’enlacèrent comme à chaque fois qu’ils se voyaient, c’était une exception pour Alec qui n’enlaçait qu’Eileen en dehors de Juliet. Ils entrèrent et elle lui proposa quelque chose à boire. « Avec cette chaleur je veux bien un soda si tu as. » Elle alla dans la cuisine et revint avec les boissons. Ils allèrent ensuite au salon ou Juliet lui demanda si elle ne l’avait pas dérangé. « Non non t’inquiète pas, j’ai fini de repeindre la chambre ce week-end, j’ai monté les meubles et puis je suis content de te voir ! » Il adorait la jeune femme, elle avait été un soutiens quand il n’en pouvait plus, mais aussi dans les bon moment aussi rare soit-il. «  Alors raconte qu’est-ce qui va pas ? Et me dit pas que ça va, j’ai vu a ton visage que quelque chose clochait des que tu as ouvert la porte ! » Il lui sourit doucement et posa sa main sur la sienne.   

( Pando )

Lors des derniers mois, Juliet était presque devenue une experte dans l’art de dissimuler ce qu’il y avait profondément en elle. En fait, ce n’était pas si compliqué à faire, car concrètement, personne ne la connaissait. Que ce soit Ugo ou April, ils avaient découvert en même temps la Juliet 2.0, celle de 2021, sans se douter que sa personnalité pouvait être feinte pour ne pas les inquiéter davantage. Car ils s’inquiétaient. En particulier son frère aîné, qui lui avait déjà avoué se sentir coupable de sa « non mort » depuis toutes ces années. Sa disparition l’avait beaucoup affecté, et c’était normal qu’il la couve plus de raison depuis qu’elle était re-rentrée dans sa vie, et son quotidien. Juliet aimait beaucoup cette affection nouvelle, se sentir aimée sincèrement, choyée, respectée… mais sa personnalité faisait qu’elle n’aimait pas être au centre de l’attention, et que les besoins des autres devaient passer avant les siens. Alors elle cachait son mal-être derrière un sourire, une jolie phrase, et elle espérait que cela passerait comme une lettre à la Poste. La plupart du temps ça fonctionnait, notamment car trop peu de monde avait le cran d’insister, de peur de la froisser et la braquer davantage, mais ce que la jolie brune oubliait, c’est qu’une personne n’était pas dupe à ce manège. Et elle l’avait devant elle.

Après un élan d’affection que Juliet n’avait pour quasiment personne, elle invitait son seul véritable ami à entrer dans la maison, pour ne pas le laisser sur le pas de la porte. Doucement habituée aux bonnes manières de cette société, elle lui proposait un rafraîchissement qui se soldait par une réponse positive. Il y a encore quelques mois, Juliet aurait fait une drôle de tête à l’entente du mot soda, car il était absent de son vocabulaire, mais désormais, elle savait parfaitement ce que c’était, et était en mesure d’aller en chercher un dans la cuisine, et plus particulièrement dans le réfrigérateur. « S’il y a bien quelque chose que je peine à supporter, c’est bien la chaleur de Miami. C’est suffoquant presque tous les jours, et la saison estivale n’est pas encore commencée à ce qu’il paraît. » Le changement était assez brutal entre ce que la belle avait toujours connu, et le climat de la Floride. On pouvait dire que c’était le jour et la nuit, et pour le coup, les températures qu’il y avait dans la zone où se trouvait la secte lui manquaient beaucoup. Après deux allers et retours dans la cuisine pour rapporter des sodas ainsi que des verres, ils purent ensuite s’installer dans le salon, confortablement dans le canapé. Le caractère assez altruiste de Juliet prenait le dessus, elle ne pouvait s’empêcher d’avoir la crainte de déranger son ami, alors que son emploi du temps devait être surchargé entre son travail, un mariage à préparer, et l’arrivée imminente du bébé qu’ils allaient avoir avec Eileen, sa future femme. La réponse d’Alec rassura Juliet, qui réussit à habiller ses lèvres d’un sourire. Elle était sincèrement heureuse que son ami ait réussi à reprendre sa vie en main après les années passées dans la secte, au point de s’être construit une vie de famille presque idyllique. « Et bien, j’ai hâte de voir la chambre de mon futur neveu, car tu sais bien que tu aies comme un frère à mes yeux, lien du sang ou non. » Dans la secte, Juliet avait toujours eu un bon contact avec les enfants. Ils étaient son passe-temps favori, ils faisaient d’elle une petite maman par procuration qui préférait de loin passer ses journées avec eux, pour les occuper et les divertir, plutôt que de subir les ordres et les humeurs de certains dirigeants. Alors, il était certain qu’elle serait en amour face à ce bébé qui allait entrer dans la vie de son meilleur ami. Meilleur ami qui n’était pas aveugle, et qui n’avait pas perdu son radar en ce qui concerne les états d’âme de la jeune femme. « Ne plus te voir tous les jours me fait oublier que tu as toujours su lire en moi comme si j’étais un livre ouvert. Je peux mentir à la terre entière, mais je n’ai jamais pu avec toi. » Ce n’était pas un reproche, loin de là. C’était une jolie constatation, une énième preuve de ce lien qu’ils avaient tissé ensemble, au fil des années, et qui ne s’était pas effiloché une fois libérés de cet horrible endroit. « Rien… c’est juste que l’acclimatation est difficile. Je fais des efforts, mais j’ai l’impression que ce n’est pas assez, comme si on me parlait dans une langue que je ne comprenais pas, et que le peu que j’arrive à comprendre, je l’oublie dans la nuit. Au petit matin, c’est comme si j’avais le cerveau vidé. Et j’en viens à me demander si c’est vraiment mieux ici. Mais ça, je ne peux pas le dire à haute voix… » dit-elle d’une traite, l’émotion dans la voix en serrant légèrement la main de son ami dans la sienne. Elle n’avait pas envie qu’on la pousse à consulter quelqu’un, qu’une personne ayant une formation dans la psychologie l’oblige à se plonger dans son passé, sous prétexte que ce serait une passerelle vers l’avenir. Il y avait des démons que Juliet n’était pas encore prête à affronter, qu’elle préférait laisser dans le placard le plus longtemps possible.

( Pando )

Alec s’inquiétais pour sa meilleure amie. Il voyait bien qu’elle n’était pas au top de sa forme et que cela cachait quelque chose. Mais pour le moment, ils avaient une conversation banale, et se parlait de la pluie et du beau temps. « Non effectivement, c’est pire en été, tu verras, tu apprécieras le bords de mer quand ça va commencer. » L’air de Miami pouvait paraitre très lourd pour ceux qui n’y avait pas vécu. Alec avait eu du mal la première année et avait dû adapter sa garde-robe pour la circonstance. Parfois, quand les température grimpais trop, il se baladais en caleçon dans la maison et prenait douche sur douche. Le climat près de Toronto lui manquait dans ses cas-là, mais s’était la seule chose qui lui manquait de là-bas. Les deux amis allèrent ensuite dans le salon pour boire un soda bien frais. « Tu peu passer demain après midi si tu veux, je dois encore accrocher deux trois détails pour que tout soit parfait mais tu la verras en avant-première. Tu sais que je te considère aussi comme une sœur. Y’a que toi qui sait d’où l’on vient et ce qu’on a subi. » Bon il y avait Sibbie aussi mais elle n’avait vécu que deux semaines là-bas, alors que nous nous y avions vécu des années. Alec lui demande ensuite ce qui ne vas pas et la demoiselle lui avoue avoir oublier quelque instant qu’il savait lire en elle. Il bu une gorgée de son soda et l’écouta d’une oreille attentive. Il lui prit la main et lui répondit. « Quoi qu’il arrive, tu es mieux ici que là-bas. Je sais a quel point c’est difficile pour toi ce nouvel environnement, toute ses règles a retenir, ses codes a découvrir, il va te falloir du temps pour tout intégré. Tu sais, je n’ai pas encore tout tout intégré moi non plus. Y’a des trucs avec lesquels n’y arrive pas. Comme la sociabilisation. Je ne vois pas l’intérêt de se faire tout un tas d’amis alors que la plupart n’en on rien a faire de ce que tu as vécu, de comment tu es bousillé de l’intérieur ou encore si tu vas bien. Ici c’est très superficiel, les gens ne pensent qu’à eux et c’est difficile de se faire de vrai ami… » C’était un truc qui le peinait beaucoup dans le fond. Il bu une gorgée de son soda un peu gêner de s’être livré ainsi. Dans le monde ou évoluait Eileen, il y avait beaucoup de gens superficiel, et ça, il avait beaucoup de mal. Il ne lui avait jamais dit de peur de la peiné et préférais garder ça pour lui sauf en ce moment même. « Alors dis moi, qu’est-ce qui te prends le plus la tête, je pourrais t’aider ! » Il lui souris confiant.   

( Pando )

Le climat de la Floride était probablement l’élément indépendant de sa volonté le plus difficile à supporter. En ayant vécu toute son existence avec des températures supportables, passer du jour au lendemain à un air chaud, presque irrespirable, alors que la saison estivale n’était même pas encore débutée… ça avait de quoi rendre dingue la jeune femme, qui était encore en transition entre son ancienne garde-robe et une plus adaptée au climat de la ville. Là encore, ce n’était pas une mince affaire, après avoir passé sa vie entière à ne pas se soucier de son apparence, et de se retrouver dans une société où elle avait le choix, et le droit d’exprimer son style sans demander la permission à un homme. Heureusement, elle pouvait compter sur Ugo et April pour l’aider, et orienter ses choix, quand Juliet se sentait réellement trop perdue.

Une fois confortablement installé dans le salon, la discussion dériva naturellement vers l’arrivée prochaine du bébé d’Alec. Le jeune homme était assez occupé dans la préparation de la chambre, ce qui était compréhensible pour Juliet, même si elle n’avait pas d’enfants. Elle ressentit un léger pincement au cœur, qu’elle balaya très vite de son esprit pour se concentrer sur la joie prochaine de rencontrer ce petit être innocent, qu’elle aimera comme s’il faisait partie de sa famille. Le lien qu’Alec et elle ont tissé à la secte ne pourra jamais se briser, car l’autre sera toujours le seul à pouvoir parfaitement comprendre les réactions. « Tu es le seul à connaître tous mes secrets, même les plus sombres. » dit-elle, un peu tristement. À choisir, elle aurait préféré que leur relation soit basée sur quelque chose de positif, plutôt que d’avoir été soudé grâce à une succession d’épreuves. Même s’ils ont été là dans les rares bons moments, l’autre était surtout présent pour ramasser l’un, et l’aider à supporter un énième jour de calvaire. « Je viendrais demain après-midi dans ce cas, il n’y a plus de risques que je me perde en chemin. Je pourrais même te donner un coup de main, si jamais tu en as besoin. » L’orientation dans cette ville était un véritable problème pour la jeune femme. Malgré toutes les nouvelles technologies de cette société, il fallait encore réussir à s’en servir, et après quelques mois, ce n’était pas encore complètement le cas pour Juliet. Elle connaissait les bases pour utiliser le téléphone portable offert par Ugo, mais elle n’avait pas toujours le réflexe de le brancher pour avoir un niveau de batterie optimal. À cause de cet oubli, elle s’était retrouvée bien bête en ville la fois passée. La maison d’Alec était dans la même rue, ce qui facilitait grandement son accession.

Vint alors un moment avec un peu plus de sincérité. L’invitation à venir aujourd’hui n’était pas dénuée de raison, le jeune homme était le seul à pouvoir écouter les états d’âmes de Juliet sans qu’elle ne puisse voir dans son regard la moindre trace de jugement, ou de pitié. Avec Ugo, il y avait cette forme de tristesse, ou parfois de colère quand elle évoquait quelque chose en particulier, et ça la mettait mal à l’aise, comme si elle blessait son frère volontairement. Sentir la main de son ami capturer la sienne était réconfortant. Les petits moments avec Alec faisaient beaucoup de bien à Juliet, car elle pouvait être elle-même, ne pas être sur ses gardes, dans la crainte qu’un comportement violent se produise. Elle pouvait souffler, être libérée. « Je pense que tu as bien résumé la chose. Il y a ce conflit permanent qui m’épuise. D’un côté, Ugo qui voudrait que je m’ouvre au monde, que je m’intègre dans la société par n’importe quel moyen, et de l’autre, il y a ce sentiment d’être invisible pour cette société. Tous les gens sont captivés par leur téléphone, bloqués dans une bulle sans se soucier des autres. Ça me semble incompatible… d’autant que je te rejoins dans l’idée que la solitude est parfois meilleure. Je ne ressens pas ce besoin de faire de nombreuses connaissances, de me faire un cercle. Si je pouvais avoir pleinement confiance en ceux chez qui je vis, ce serait déjà bien. » dit-elle en riant légèrement, mais tenter de dédramatiser la situation. Juliet avait confiance en Ugo et April, mais pas encore à 100%. Il y avait toujours des réflexes incontrôlés, à cause de sa vie d’avant, qui venaient l’embêter. Avant de poursuivre, elle imita son ami en prenant la canette de soda dans ses mains, pour en boire une gorgée. Elle ne raffolait pas spécialement de cette boisson, mais ça avait le mérite de rafraîchir un peu. « Je crois que ce qui me prends le plus la tête, c’est la peur. J’ai peur de 50% de la population. Mais comment ça pourrait en être autrement.. » Juliet n’avait pas besoin de mettre des mots pour exprimer pleinement sa pensée, Alec comprenait de lui-même, pour avoir été témoin de la brutalité qu’une majorité des hommes avaient envers les femmes. Juliet n’a pas pu y échapper, encore moins à partir du moment où sa vie a été liée à un autre, et où elle n’avait plus rien à dire, seulement accepter en silence. Même s’il n’y avait plus aucune marque visible aujourd’hui, le souvenir de la douleur était encore bien présent dans son esprit. « J’aimerais pouvoir appuyer sur un petit bouton là-haut, pour pouvoir retirer ce sentiment et accorder une chance à quiconque m’adresse la parole sans sursauter, faire un pas en arrière, et me faire une dizaine de scénarios dans mon esprit en l’espace de quelques secondes. Entre ça, et l’impression que cette société est égocentrique, dès que quelqu’un s’approche, j’ai des soupçons. Je me demande ce qu’il va me faire, ce qu’il va vouloir exiger en échange car ça fonctionnait toujours comme ça là bas… » Elle n’était plus là-bas, mais ce mode de fonctionnement avait été son seul repère, son seul modèle de comparaison. Ce ne serait pas simple d’effacer tout son passé pour se construire un meilleur avenir. Il faudrait du temps, beaucoup de temps, et de la patience.

( Pando )