« On a le droit de plaquer un boulot, un endroit, … mais pas ses amis. T’étais comme un frère pour moi et ton départ a été décisif dans ma prise de décision… » Erwan ne savait ps quoi lui dire à part qu'il était désolé, tellement désolé. Qu'il n'avait aucune excuse et qu'elle avait le droit de lui en vouloir, de le haïr. Il avait été égoïste, il n'avait pas pensé à elle alors que, comme elle le disait, ils avaient été si proches et ce depuis leur enfance. Une amitié comme ça, ça ne s'efface pas juste comme, d'un coup, un soir alors qu'il errait avec sa valise et que l'idée la plus intelligente à ses yeux était de prendre un billet pour Los Angeles. Apprendre ainsi que son départ avait été le coup de grâce pour Aloysia, ça lui mit un coup bien violent dans l'estomac. Parce que peut-être qu'elle regrettait son choix, peut-être que c'était de sa faute. « J’aimerais avoir confiance, mais… c’est pas facile. » et il comprenait. Il comprenait parfaitement. Il allait juste terminer de s'expliquer, terminer d'essayer de lui faire comprendre à quel point il était désolé, à quel point il était prêt à tout pour se racheter. Et ensuite, il la laisserait tranquille. Il s'en irait, la laisserait vivre sa vie, et si elle décidait de lui donner une chance, il en serait heureux.

« Ce qu’il s’est passé là-bas ? » elle demanda, un sourcil haussé. Et merde, il en avait trop dit, il avait été con, comme toujours. Il s'était lancé sur cette pente glissante, avait évoqué certains aspects de sa vie et avait oublié de s'arrêter. Il avait dit la phrase de trop et il n'y avait plus de retour en arrière possible. Une expression de terreur prit place sur son visage, et il parvint finalement à dompter ses traits, à revenir à quelque chose de plus calme, de plus serein, de contrôlé, espérant que ce moment de faiblesse passa inaperçu aux yeux d'Aloysia. « Des trucs pas cools » il lui offrit comme simple réponse, d'une voix douce, baissant le regard vers ses doigts de pieds. Il savait bien que ça ne suffirait pas, qu'après ses longs discours sur la confiance, il ne pouvait pas la laisser avec uniquement ça. Mais il ne pouvait pas lui dire la vérité, et ce pour une centaine de raisons. Parce qu'elle le trouverait dégoûtant, parce qu'elle aurait pitié de lui, parce qu'elle ne comprendrait pas, parce qu'il ne savait pas s'il pouvait même le dire. Lui dire mon petit ami m'a violé, il m'a frappé, et il m'a forcé à faire la pute. Parce que cette phrase si simple ne correspondait pas à la réalité. Alors il se décida finalement. « Si tu promets de pas me détester... » Il n'aurait pas su comment lui dire, mais peut-être que s'il lui montrait, ce serait plus facile. Elle pourrait juste s'imaginer ce qu'elle voudrait. En disant cette phrase, il releva doucement les yeux vers elle en attendant sa réponse, en attendant le feu vert.

Il avait essayé, vraiment il avait essayé de lui répondre, de lui donner quelque chose sans pour autant entrer dans les détails. Sans se dévoiler, sans parler de choses qui lui faisaient trop mal, mal à l'intérieur, et mal dans ses cicatrices. Des douleurs fantômes, des souvenirs qui tiraient sa chair dans tous les sens. Vraiment, Erwan avait essayé de contenter tout le monde en lui répondant vaguement, tout en donnant une sorte d'avant-goût de ce qui s'était passé. Mais ça ne fonctionna pas, et Aloysia sembla vexée. Déçue. Il ne voulait pas la décevoir, pas comme ça. Il ne pouvait pas supporter de la regarder s'éloigner en sachant qu'il n'avait pas été à la hauteur. Surtout sans avoir essayé, essayé jusqu'au bout. « Okay, garde le pour toi ! » fit-elle avant de se lever et de commencer à descendre les escaliers. Il paniqua, la regarda faire quelques pas sans savoir quoi faire pour la retenir, sans oser, se demandant si ce n'était pas mieux pour eux deux qu'elle s'en aille et qu'ils ne se recroisent plus jamais. Mais bien sûr que non, il ne voulait pas ça. Alors il l'arrêta de sa voix, lui demandant une petite promesse, se mordant l'intérieur de la joue en réalisant qu'il n'avait pas le droit de faire ça, de lui demander de promettre. Aloysia s'arrêta et fronça les sourcils, comme si ce qu'il lui demandait n'avait aucun sens. « Sauf si tu as tué quelqu’un, je vois pas pourquoi je changerai d’opinion après ce que tu pourrais me dire ! » dit-elle, convaincue. Lui ne l'était pas autant, mais il lui faisait confiance. Erwan se disait qu'elle ne savait pas trop de quoi elle parlait, qu'elle ne pouvait pas être sûre avant d'avoir vu. Il baissa les yeux vers ses chaussures, inconfortable et ne sachant plus trop quoi dire après ça. « Non... non j'ai tué personne » fit-il doucement, hésitant.

Erwan resta planté là un moment, face à elle, sans rien dire. S'il faisait ce qu'il pensait faire, il n'y aurait plus de retour possible et il n'était pas sûr de pouvoir supporter ça. Supporter le regard d'Aloysia sur le nouvel Erwan. Lentement, il retira son manteau et le déposa sur un siège qui se trouvait juste là. Son écharpe suivit, le laissant là en t-shirt devant elle. Aloysia devait se demander ce qu'il était en train de faire, pourquoi est-ce qu'il se déshabillait tout à coup... Et Erwan aurait bien voulu lui expliquer avec des mots, mais c'était trop compliqué, et là au moins, elle comprendrait. Elle comprendrait quelque chose qui serait plus ou moins éloigné de la vérité, et ce serait juste bien, juste suffisant. C'était étrange, de retirer ses fringues ainsi sous le regard de quelqu'un, mais c'était Aloysia, et il n'y avait aucune arrière pensée, vraiment aucune, alors pour une fois ses mains ne tremblaient pas trop. Il la regarda dans les yeux, quelques secondes, et il se tourna. Ses doigts attrapèrent le bas de son t-shirt, et lentement, il souleva l'arrière de son vêtement jusqu'en haut de son dos, révélant celui-ci à son amie. Son dos couvert de cicatrices, de lacérations, de lignes qui s'entrecoupaient. Il garda la tête baissée, concentrant son regard sur ses chaussures, comme s'il pouvait se créer une bulle dans laquelle rien ne l'atteignait. Il ne savait pas si elle allait s'enfuir, le laisser là, se dire qu'il traînait beaucoup trop d'emmerdes avec lui et qu'elle n'en voulait pas. Se dire qu'elle ne savait simplement pas quoi faire d'autre. Ou penser que c'était une blague, que ce n'était pas vrai. Ou peut-être qu'elle allait rester et continuer à l'observer, qu'elle chercherait des réponses entre les déchirures de sa chair. Il ferma les yeux quelques secondes, se concentrant sur sa respiration, juste ça.

Il sentit un doigt se poser sur sa peau, à un endroit qu'il reconnaissait rien qu'à ce contact. Le toucher d'Aloysia le fit sursauter légèrement, et il eut du mal à se débarrasser de la tension qui serrait ses muscles alors qu'elle posait ainsi son doigt à un endroit où il avait tellement souffert. Il ressentait encore parfois les douleurs fantômes, comme un grand blessé qui ressent des douleurs dans un membre pourtant amputé depuis longtemps. Il entendait encore le bruit du cuir contre son dos. Il serra les paupières plus fort, se mordant l'intérieur de la joue pour rester connecté à la réalité. Il ne pouvait pas se perdre dans ses souvenirs, pas maintenant. Alors il fit de son mieux pour rester présent, réaliser que c'était Aloysia, quelqu'un qu'il avait aimé de tout son coeur, qu'elle posait ses doigts sur son dos ravagé, et que jamais elle ne lui ferait de mal. C'était difficile, de s'en convaincre, mais il y parvint à peu près. « Je comprends pas… que t’est-il arrivé ? » Il aurait tant aimé qu'elle ne trouve rien à dire, qu'elle décide que c'était suffisant, qu'elle n'avait pas besoin de plus d'explications. Ou qu'elle n'avait pas envie de les entendre. Et peut-être qu'Erwan devait lui être reconnaissant de poser des questions, parce qu'elle s'intéressait vraiment à lui, parce qu'elle voulait savoir malgré tout. Mais la question était si vaste, si compliquée, et il ne savait pas quoi lui dire, comment le lui dire.

Il la laissa promener ses doigts sur ses anciennes plaies librement, la laissa découvrir. Son index passa alors sur une des lignes qui couvraient le dos d'Erwan, et il inspira vite, avant de parler. « Ca vient d'un fouet » dit Erwan, brisant le silence d'un coup, commentant ce que son amie avait à cet instant précis sous les doigts. Il passa sa langue sur ses lèvres, prit une bouffé d'oxygène, comme si à tout moment il pouvait être plongé sous l'eau. « Il faisait ça quand je désobéissais » ajouta Erwan doucement, la laissant continuer de l'inspecter, de le toucher. Le silence reprit sa place, jusqu'à ce qu'enfin, Erwan laisse à nouveau son t-shirt tomber, recouvrant peu à peu son corps exposé. Il se tourna lentement vers Aloysia, jetant un regard derrière lui pour regarder si elle était toujours bien là. « Je... » Il ne savait même pas ce qu'il voulait dire. Il aurait aimé pouvoir tout lui faire comprendre sans avoir à former une seule phrase. Que la vérité la plus complète lui parvienne sans qu'Erwan ait à la dire. Et il voulait tellement qu'elle comprenne que là, comme ça, c'était trop difficile, qu'il ne voulait pas la perdre à nouveau, mais qu'il était coincé. Qu'il ne savait pas comment dire les choses. « J'ai voulu t'appeler quelques fois, mais il m'interdisait d'avoir un téléphone » fit-il doucement, d'une petite voix, levant son regard vers le visage d'Aloysia. Il se souvenait avoir pensé à elle, parfois, même si le visage qui revenait sans cesse était celui d'Orel. Son numéro de téléphone était resté gravé dans sa mémoire, après des années d'amitié. Mais il n'avait jamais pu, jamais osé défier Leo là-dessus. Et puis de toute façon, qu'aurait-il pu lui dire ?

Il était là, exposé au regard de son amie, en train de lui révéler ses secrets, ceux dont il n'avait encore jamais parlé. Et peut-être que ça faisait parfaitement sens qu'Aloysia soit la première à savoir ça, parce qu'elle avait été son amie et sa confidente pendant des années, et que même après tout ce temps, ça n'avait pas changé. Il avait eu si peur, et tellement honte. Il n'avait pas voulu lui dire quoique ce soit sans y être poussé, sans se trouver face à cet ultimatum, à l'idée qu'elle refuse de le revoir s'il ne lui disait pas la vérité. Mais au final, c'était venu tout seul. La vérité était sortie de sa bouche, sans qu'il y réfléchisse trop, sans qu'il ne la laisse le dévorer de l'intérieur encore plus longtemps. Et il n'avait pas si honte que ça, au final. Ca faisait juste du bien, de ne plus porter tout ça tout seul. Il n'avait plus autant l'impression qu'il pouvait exploser à tout moment, et Erwan se sentait enfin un peu plus libre. Comme si avoir partagé son secret, ou plutôt une part de son secret, avec Aloysia avait défait l'emprise que Leo avait toujours et encore sur lui. Comme si sa poigne de fer s'était affaiblie. Comme un petit vent frais qui se propageait à nouveau à l'intérieur de son corps. « Je suis désolée… » A peine cette phrase fut-elle parvenue  ses oreilles qu'Erwan secouait lentement la tête. Il comprenait d'un côté pourquoi elle s'excusait, parce qu'elle était face à quelque chose qui la sortait de son terrain de confort et qu'elle ne savait pas comment réagir. Sans doute. Mais vraiment, il ne voulait pas qu'elle se sente coupable, ou même qu'elle se sente mal. Elle n'y était pour rien et elle n'avait pas besoin d'être triste pour lui. Il était déjà assez déprimé tout seul, pas besoin que les autres le soient aussi. « Je m’attendais pas à ça… » Si la situation avait été différente, il se serait mis à rire un peu, parce que oui, effectivement, c'était assez peu commun. Ce n'était pas tous les jours qu'on recroisait par hasard son ami d'enfance qui en quatre ans a réussi à se faire décorer le dos de cicatrices hideuses.

Mais Erwan ne répondit pas, encore un peu perdu, et n'ayant franchement pas grand-chose à dire. « Je peux comprendre maintenant et… je m’en veux de t’en avoir voulue. J’espère juste que tout ça est derrière toi et que tu vas pouvoir faire une longue et belle carrière. Tu le mérites. » dit Aloysia avec un petit sourire, et Erwan était partagé entre dix émotions différentes. Parce que non, elle ne devait pas s'en vouloir, elle avait totalement le droit de lui reprocher d'avoir disparu ainsi. Il avait été stupide, il le savait, c'était sa faute, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même, et il ne voulait surtout pas qu'elle s'en veuille. Surtout pas. Mais la suite de ses paroles lui serrèrent la gorge parce que... Erwan était un peu trop sensible, depuis toujours, mais particulièrement là, face à Aloysia. Et ces mots remplis de gentillesse le touchaient en plein coeur. Parce que Aloysia était sincère, et elle désirait réellement le meilleur pour lui. Erwan n'avait plus vraiment d'amis, les six mois à New York avaient été noyés dans la solitude, et il était à Miami depuis peu. Même après tout ce temps, toutes ces épreuves, il avait toujours Aloysia. Malgré ses erreurs, elle était encore là. Il hésita un petit instant avant de s'approcher d'elle et de la serrer dans ses bras, en faisant bien attention au ventre de son amie qui abritait deux petits êtres. « Merci » souffla-t-il. Merci de ne pas m'en vouloir de trop, merci de toujours être là, merci de vouloir mon bonheur. Il enfouit son visage dans les cheveux d'Aloysia, resta ainsi un moment, puis se recula doucement. « Tu es heureuse ? Tu as quelqu'un qui t'aime ? » il lui demanda alors d'une voix douce, avec un petit sourire. C'était un peu con comme question, mais ça venait du coeur. C'était ce qui comptait le plus, non ? Etre aimé, vraiment. Il s'en doutait, voyant le ventre de son amie, mais leur histoire prouvait bien que ce genre de signes n'était pas infaillible.

Erwan avait assez parlé de lui, et avec tout ça, il ne savait rien d'Aloysia, de ce qu'elle était devenue. C'était assez improbable de la recroiser ici, après tout ce temps, alors que rien ne les destinait à se retrouver à Miami. Elle attendait deux enfants, et en le regardant de plus près, elle avait changé. Elle n'était plus la jeune fille tout juste sortie de l'adolescence dont il se souvenait. Cette Aloysia, c'était une femme. Et par là, Erwan n'entendait pas qu'elle avait vieilli ou quoique ce soit du genre, mais plutôt que quelque chose dans ses yeux était plus assuré, plus... il ne savait pas. Mais il comprenait plutôt bien ce qu'il voyait. Elle avait du grandir, comme lui il avait grandi. C'était obligé. Et avant d'entendre la réponse de son amie, Erwan se surprit à se l'imaginer mariée, comblée de bonheur, habitant dans un pavillon à deux pas de la plage avec l'homme de sa vie. Un peu la vie dont il rêvait avec Orel et qu'il n'aurait sans doute jamais. Et voilà qu'elle était enceinte de deux petits anges, et ça aussi c'est un peu ce qu'il n'aurait jamais. Et encore... S'il se forçait à positiver, il se rendait compte que peut-être cet idéal n'était pas si loin à présent. Peut-être que ce n'était plus un rêve complètement fou. « Oui je suis heureuse. Quant à avoir une personne qui m’aime, c’est plus compliqué… je suis bien avec le papa mais ça s’est fait après la conception … Pour certaines raisons médicales, j’ai fait une insémination. Bref, je suis avec que depuis très peu de temps alors c’est peut-être une peu tôt pour parler d’amour au sens propre du terme. Tu vois, c’est pas le genre de mec à être en couple, alors on va faire ça étape par étape. Mais… je suppose que s’il a franchi le pas avec moi c’est que je dois quand même être plus importante que les autres. » Aloysia lui répondit en souriant doucement. Son histoire était compliquée, et Erwan l'écouta attentivement, la laissant parler sans l'interrompre. Sa première phrase resta gravée dans un coin de son cerveau. Elle était heureuse, et c'était déjà ça, c'était l'essentiel.

Les explications qu'Aloysia lui offrait soulevèrent plusieurs questions dans l'esprit d'Erwan, en rapport avec sa santé par exemple, mais pas au point de la pousser à y répondre, ou de les énoncer à voix haute. Il n'avait jamais été du genre à envahir ainsi la vie des autres. Il l'écouta, la laissa finir, essayant d'imaginer vite fait la situation pendant qu'elle lui expliquait tout ça. S'il y avait une chose qui n'avait pas changé chez Erwan, c'était son côté naïf et rêveur. Il restait persuadé que les choses finissaient toujours par bien tourner pour ceux qui le méritent. Comme Aloysia par exemple. Peut-être que sa vie semblait un peu chaotique, que rien n'était sûr, mais il y croyait. « S'il a choisi d'être le papa de tes enfants, c'est qu'il doit t'aimer assez pour faire sa vie avec toi, non ? » il répondit, un peu hésitant. Ca faisant parfaitement sens pour Erwan, mais il ne voulait tout de même pas dire de connerie. Il n'était pas très expérimenté en ce qui concernait les relations amoureuses, et peut-être que les idées qu'il avait sur le couple étaient simplement fondées sur des rêves de gamin et des films romantiques. « Enfin, j'ai pas trop d'expérience, mais j'crois que ça fonctionne comme ça... » ajouta Erwan avec un petit sourire. L'atmosphère s'était détendue remarquablement, et Erwan sentait que la tension dans ses épaules avait presque disparu. Il rassembla ses boucles sur sa tête et les attacha dans un chignon, utilisant l'élastique qu'il gardait à son poignet.