L'amour avait toujours été un sujet omniprésent dans la vie d'Erwan. Et peut-être que c'était normal, en fait, c'était sûrement le cas de tout le monde. Mais en tous cas, pour quelqu'un qui n'avait jamais vécu une vraie histoire, il y pensait beaucoup. Ses opinions sur le sujet changeaient sans arrêt. Il avait été dégoûté de l'amour après avoir passé des années à rêver de son meilleur ami nuits et jours. Il en était arrivé au point de ne plus y croire, de se dire que tout ce qui existait, c'était les pulsions et la chair. Que le vrai amour était une illusion, quelque chose que les gens avaient construit de toutes pièces pour faire croire qu'il y avait quelque chose de beau dans ce monde, pour qu'on ait une raison de continuer à vivre. Mais malgré tout ça, il y avait le visage d'Orel, sans arrêt. Son prénom dans les rêves d'Erwan, des mélodies qui rappelaient le son de sa voix dans les chansons qu'il composait. Et ça, Erwan n'arrivait pas à croire que ce ne soit qu'une fabrication de son cerveau. Parce que si c'était celui-ci le seul responsable, alors il n'y aurait pas cette douleur dans son ventre, et la brûlure sous sa peau et son coeur qui essayait de hurler sans cesse, pour appeler Orel à lui. Alors l'amour devait exister malgré tout. Et revoir Orel, le retrouver après tout ce temps, ça avait prouvé ses théories. Parce qu'il ne savait peut-être pas exactement ce que c'était l'amour, mais il ne savait pas non plus exactement ce qu'il ressentait pour Orel. Alors la logique voulait que Amour soit le nom qu'il attribuerait aux battements de son coeur. Tout ça... pour revenir à Aloysia, qui ne semblait pas convaincue des sentiments de son copain. Erwan ne pouvait pas prétendre en savoir plus qu'elle, il n'aurait jamais l'audace de croire ça, bien sûr. Mais s'il avait le droit d'avoir un petit avis sur la question, c'était déjà ça, et il l'exposa un peu timidement à son amie. Elle se mit à rire, et Erwan la regarda un peu hésitant. Il se doutait bien qu'elle ne riait pas de lui, ce n'était pas son genre, alors il s'autorisa un sourire et attendit une réponse, qu'elle lui offrit. « Tu regardes trop de films à l’eau de rose Erwan ! Je sais pas pourquoi il accepté de m’aider sur ce coup-là j’avoue, mais… je lui en serait éternellement reconnaissante ! Quoi qu’il en soit ce n’est certainement pas parce qu’il nous voit finir nos jours ensemble ! Un jour peut-être, qui sait ? » fit-elle avec un petit sourire.

Erwan haussa les épaules et sourit à Aloysia, ne sachant pas trop quoi lui répondre. Il restait plutôt convaincu qu'un mec n'allait pas s'emmerder avec deux gamins si la maman en question n'était pas la plus formidable à ses yeux. Il n'y avait pas de raison, ça lui paraissait simplement insensé. Peut-être qu'Aloysia avait peur d'être déçue, blessée, alors elle s'interdisait de trop y croire. Ca, au moins, il pouvait le comprendre. « Et toi alors ? tu as quelqu’un ? » Et boum, la question s'écrasa juste comme ça. Il aurait un peu du s'y attendre, vraiment. Elle n'eut pas l'effet d'une bombe, tout de même pas, mais il ne pouvait dire que ça ne lui fit rien. Quelqu'un. Il y avait bien quelqu'un, mais Erwan n'était pas sûr de pouvoir dire qu'il "l'avait", ce quelqu'un. C'était un peu compliqué et... bordel, c'était Aloysia face à lui, elle le connaissait, il lui avait parlé d'Orel quand ils étaient plus jeunes, il n'avait pas besoin de se cacher, d'être gêné. « J'ai revu Orel, tu sais, mon ami d'enfance. Je suis toujours amoureux de lui, après quatre ans » il répondit, essayant de sourire un peu. Il était tombé sur Orel, par hasard, sans s'y attendre. Il faut dire que le choc avait été plutôt violent. Il n'avait aucune idée de comment les choses allaient se passer maintenant, surtout que tout était tellement différent. Et Orel s'était comporté un peu bizarrement, ce qui faisait sens étant donné que quatre foutues années s'étaient écoulées, mais quand même. « Je suis plus la même personne, et lui non plus, alors, je sais pas, il était différent, et moi j'ai l'impression d'être en petits morceaux parfois » il avoua simplement, son regard plongé dans celui de son amie. Avec elle, il n'avait pas si peur de se dévoiler. De mettre ses pensées les plus noires entre eux, de les dévoiler pour elle. C'était un peu comme si ça sortait tout seul. Comme si quatre années de séparation, avec en prime les regrets et l'abandon, n'avaient pas pu effacer tout ça, les changer tout au fond de ce qu'ils étaient.

« Ouais vous avez changé, mais qui ne change pas en 4 ans ! » Et elle avait raison, une fois de plus. C'était normal, de changer en quatre ans, bien sûr que ça l'était. Tout le monde changeait. Ca n'était pas réservé aux pauvres gamins légèrement traumatisés comme Erwan et Orel. Alors peut-être qu'ils arriveraient à faire avec, à passer outre, à se redécouvrir. A réussir à redevenir les meilleurs amis du monde, et peut-être même plus. Parce qu'Orel avait l'air différent, comme prêt à lui sauter dessus à la première occasion. Il adressa un petit sourire à Aloysia, haussant un peu les épaules. « Et donc ? …vous vous êtes revus et c’est tout ?! » interrogea-t-elle ensuite, un peu comme si l'épisode de sa série préférée venait de finir sur un cliffhanger monstrueux. Et Erwan rit un peu, légèrement, amusé mais tout de même nerveux parce que lui aussi avait l'impression de se tenir au bord d'une falaise quand il s'agissait d'Orel. « Hum... ouais. C'était bizarre et puis, il s'est enfui » répondit Erwan, hésitant clairement à reparler de ce moment gênant où il se fit planter dans une rue déserte au milieu d'une ville qu'il ne connaissait pas. Il y eut un moment de silence après ça, alors qu'Aloysia regardait sa montre et semblait oublier tout à coup la conversation. « Oh je suis désolée, mais je dois y aller. Mon numéro n’a pas changé, donc tu sais comment me contacter. » Erwan hocha la tête avec un petit sourire. Lui aussi de toute façon ne devrait pas tarder à s'en aller. Il avait encore du boulot. « Okay, rentre bien » lui répondit-il doucement, avant de serrer Aloysia dans ses bras, et de la laisser filer. Il s'installa sur les marches des gradins, et sortit son téléphone, se remémorant le numéro d'Aloysia, l'enregistrant dans ses contacts et lui envoya un sms pour qu'elle ait elle aussi son nouveau numéro. Puis il rangea son portable, et se mit à regarder les quelques ados qui patinaient encore.