A la façon d'une couverture trop petite, tirer sur le voile du passé était risquer de mettre à nu des pans de vie soigneusement oubliés. Ou presque oubliés puisqu'il passait de encore temps en temps sur le forum, généralement pour donner des conseils juridiques. Et pour prendre des nouvelles de Mama Adminosaure, une assistante sociale au coeur aussi gros que sa corpulence imposante et son franc-parlé sans chichi. Il ne l'avait toujours vu qu'en photo mais il l'adorait. Elle l'avait aidé à une époque, et sans doute même qu'il était devenu avocat un peu par sa faute. C'était elle qui l'avait poussé à fuir Curtis le plus loin possible, à recommencer sa vie ailleurs, et surtout loin de l'arme de service de son père dont le canon avait atterrit un peu trop de fois dans sa bouche même s'il n'avait jamais eu la cran d'appuyer sur la gâchette.

Parce qu'à une époque, il en avait écumé des forums d'aide aux jeunes au bout du rouleau. Il avait même été un de ceux-là. Et ce site, il s'y était arrêté et installé, sans doute à cause du franc-parlé de sa fondatrice qui n'avait pas hésité à envoyer paître une chouineuse qui se plaignait de son manque d'amour... Il avait fait sa vie à New-York et était revenu sur le site comme un enfant devenu adulte rentrait à la maison prendre des nouvelles de sa vieille mère... Ne rouspétant même plus lorsque celle-ci l'appelait Winnie au lieu de Wayne, son pseudo de Caribou ayant été depuis longtemps jeté aux oubliettes.

Et puis, il y avait eu Aloysia, une fille qu'ils avaient ramassés à la petite cuillère. Le parcours presque "classique" qui l'amenait à vouloir en finir. Ça avait accroché tout de suite entre eux avant qu'elle ne disparaisse soudainement sans laisser de nouvelles. Et ce n'était pas faute d'avoir laisser des messages ! Au moins son expérience avec Edward lui avait appris cela, à ne pas laisser tomber les gens... Alors parfois, il lui en laissait encore un comme une bouteille jetée à la mer ou une lumière vacillante luttant pour ne pas s'éteindre. Même si avec Mama Adminosaure, ils avaient depuis longtemps acquis la certitude qu'elle avait dû une nouvelle fois tenter et cette fois-ci réussir son suicide...

Sauf qu'Aloysia avait répondu à son dernier message ! Elle habitait Miami, était amnésique et était tombée par hasard sur son message... Et cherchait à en savoir plus. Forcément ! Il passait sur l'angoisse qu'avait généré sa "bourde" -décidément, il ne changerait jamais- et ses appels affolés à Mama Adminosaure... Qui après lui avoir donné un bon coup de pied aux fesses l'avait enjoint à prendre contact avec elle et à lui passer son bonjour !

Et c'était bien pourquoi il se retrouvait en cet instant ici, à angoisser patienter devant son eau gazeuse. Il était censé lui dire quoi ?! Ah oui, désolé tu t'en rappelles plus mais t'a été violée par ton entraîneur et tu voulais te suicider, ah ah...

Soudainement, il y avait trop de monde dans cette brasserie, elle était trop bruyante et bien trop éclairée. Alors qu'il l'avait pourtant choisie pour cela. Pour qu'ils puissent discuter tranquillement alors que les gens autour d'eux profiteraient de leur soirée sans s'intéresser à eux. Et parce qu'il ne pouvait définitivement pas lui dire tout cela par écran interposé.

Mais bien vite, il n'eut plus besoin de s'angoisser réfléchir puisqu'elle se tenait là face à lui. Et qu'aussitôt il retrouva sa casquette d'avocat -à se demander d'ailleurs pourquoi il avait tant angoissé- alors qu'il se levait pour l'accueillir.

"Aloysia ? Bonsoir... Je n'en reviens toujours pas qu'on habitait la même ville, même si en fait c'est tout récent pour moi."

Il lui souriait alors qu'il la détaillait tout en se rasseyant. C'est qu'il y avait quelque chose d'étonnant à redécouvrir des personnes des années après, même si Aloysia n'était en rien Edward.

"Mama Adminosaure te passe le bonjour. Je suppose que tu as été faire un tour sur le forum ? Ça t'a rappelé quelque chose ?"

Autant commencer par-là, en douceur, et laisser Aloysia s'exprimer sur ses ressentis à défaut de ses souvenirs. Peut-être que les choses seraient plus faciles pour elle ainsi, même s'il en doutait. Mais c'était encore le mieux qu'il pouvait faire en cet instant.

Bon, finalement ils y étaient et il se rendait compte qu'il en avait fait tout un fromage pour pas grand chose. Parce que ça ne différait en rien des jeunes femmes qu'il pouvait rencontrer dans le cadre de son métier. Ou pas. Parce qu'il n'avait généralement pas à leur annoncer qu'elles s'étaient faites violer par leur entraineur sportif... En fait, il allait avoir besoin de quelque chose d'un peu plus fort que juste son eau gazeuse !

"Un café pour moi aussi, s'il-vous-plait."

Une fois le serveur parti, il se retrouva face au même problème. Comment le lui annoncer de façon diplomatique si possible et avec un minimum de douceur... Ce n'était vraiment pas gagné !

Point positif, elle voulait savoir et semblait déterminée à apprendre la vérité coûte que coûte. Et puis, l'eau avait coulé sous les ponts et elle avait 'oublié' les souvenirs et surtout les sensations qui y étaient rattaché. Et elle avait vu le contenu du forum ainsi que les histoires que l'on pouvait y trouver. En quelque sorte, elle devait s'y être déjà un peu préparée... Du moins, il l'espérait.
En vérité, il cherchait surtout à se rassurer et il avait juste l'impression de se raccrocher aux branches -voire même aux brindilles- mais c'est qu'il n'avait rien d'un psy lui.

Il lui sourit donc alors qu'il cherchait comment débuter cette discussion qui n'aurait rien d'agréable, ni pour lui et surtout pas pour Aloysia. Mais il n'y avait en vérité pas trente-six manières de dire les choses.

"Ca fait bizarre de te voir en vrai. Tu nous avais montré une fois des vidéos où tu patinais parce que j'avais dit que j'y connaissais rien du tout... Tu patines toujours ?"

Pour un peu, on aurait presque pu croire à des vieux amis perdus de vue, se retrouvant et cherchant à savoir ce qu'il en était de leur vie. Même s'il ne doutait pas qu'elle puisse toujours patiner. C'était Aloysia qui vivait et respirait patins et glace comme lui avait à l'époque toujours eu le nom d'Edward à la bouche... Cela aurait pu donc être une discussion lambda sur les intérêts de chacun s'il n'avait pas levé le regard sur Aloysia pour lui demander d'une voix un peu trop innocente.

"...Avec le même entraineur ?"

Question qui était tout sauf innocente puisque de ce que Alyosia leur avait dit, celui-ci avait disparu peu de temps après son forfait. Certainement dans un autre Etat à faire d'autres victimes. Mais l'important en cet instant était que Aloysia arrive d'elle-même à la conclusion qui s'imposait.

Le serveur leur apportant leurs cafés, il la laissa assimiler ce qu'il venait de sous-entendre avant de reprendre une fois que celui-ci se fut éloigné.

"Tu sais, on a tous à peu près le même parcours sur le forum. Comme tu as dit, on n'attente pas à sa vie comme ça pour rien. Et le... viol..." Voilà, le mot avait été lâché, sur un ton précautionneux et alors qu'il fixait Aloysia craignant visiblement sa réaction. "Est considéré comme un crime. Et ce n'est pas pour rien. Ca te détruit de l'intérieur, littéralement. Et souvent, en finir tout de suite semble être la meilleure solution."

Préférant ne pas s'attarder là-dessus vu sa propre expérience personnelle des choses, il grimaça avant de soupirer et de reprendre sur une note un peu plus positive.

"Tu as ta fille, tes patins et une vie à construire. Et c'est ce qui compte, avancer malgré tout... Bon sang, et c'est moi qui donne ce genre de conseils ! En tout cas, c'est ce que dirait Mama Adminosaure."

En tout cas son café n'était pas de trop ! Il se serait même senti prêt à avaler la cafetière entière...

Le truc avec la diplomatie, c'est qu'à trop en faire ça ne servait strictement à rien. Un peu comme ce qu'il vivait-là avec Aloysia qui n'avait pas capté où il voulait la mener... Et pour cause, c'était toujours le genre de chose qui n'arrivait qu'aux autres... Ou aux filles. Il connaissait donc plutôt bien le problème.

Lui était resté au niveau du forum sur une disparition. Il était donc étonné d'entendre parler soudainement de suicide... Mais en vérité, l'un ou l'autre ne lui faisait ni chaud, ni froid. Ca ne faisait qu'une pourriture de moins sur la Terre ! Il ne s'en émut donc pas plus que ça alors qu'il commentait d'un ton particulièrement ironique "Et on se demande bien pourquoi..." même s'il préféra ne pas relever pourquoi vouloir savoir ça ?

Il poursuivit donc bien déterminé à arriver au bout de ses révélations. Et sans même savoir comment celles-ci alalient être prises. Parce qu'il n'était pas sûr de pouvoir/vouloir faire face à une crise d'hystérie somme toute légitime. Ou pire, à un état catatonique...

"Oui... Les gens ne se suicident pas pour rien. Surtout lorsqu'elles ont les mains particulièrement baladeuses. Bien que ce genre de personne n'aient généralement pas de remords. Ils ont toujours de très bonnes raisons pour leur acte, le pire étant Viens pas te plaindre, c'est de ta faute, c'est toi qui l'a voulu !"

Grimaçant de dégoût, il rajouta.

"Enfin ça, je ne sais pas s'il t'a dit ça. Mais je sais que tu détestais sa manie de vouloir te toucher à tout bout de champs. Et que tu disais que tu aurais dû le voir venir, mais c'était ton entraineur. Et tu avais... confiance en lui."

Bon sang, tout ça était un sacré écho à sa propre histoire. Le ton était pour le coup particulièrement acerbe, sans doute trop même, mais il ne pouvait rien faire contre cela.

Il fut en tout cas ému par les larmes qu'Aloysia refusait de laisser tomber. Il se sentait juste totalement démuni ne sachant pas quoi dire ou quoi faire. C'est qu'il n'était pas Mama Adminosaure lui, il n'avait pas ni les mots, ni le ton pour montrer sa présence et son soutien. Lui ne s'occupait habituellement que des questions juridiques et là... Ca dépassait juste ses compétences. Une nouvelle fois. Ce n'était pas nouveau, il avait ressenti ça à chaque fois qu'Edward lui avait parlé de ses problèmes de "visions". Mais il détestait toujours autant ne rien pouvoir faire...

Il serra ses doigts à les blanchir autour de sa tasse de café et tenta, assez maladroitement.

"Il y a le forum, si tu veux en parler. Mama Admin est très compétente et puis, il y a moi si tu as besoin. Je suis pas aussi doué mais je peux écouter et même servir de défouloir à ta colère... Pour ça, je suis bon aussi ! Et surtout, je peux comprendre."

Et c'était tout ce qu'il pouvait faire, bien peu donc. Le reste devra venir d'elle et sa volonté à se reconstruire elle et sa vie. Et il ne doutait pas que malgré les creux qu'Aloysia allait forcément traverser, elle y parviendrait. Parce qu'il lui restait le plus important et ce qui faisait toute sa vie, sa fille et les patins.

"N'oublie pas ta fille et le patinage, c'est ça qui compte et qui fait ta vie. Et ça vaut le coup de se battre pour ça."

Et là, il préférait ne pas chercher à savoir pour quoi il se battait lui.

Que pouvait-il répondre à cela ? Que non, ce n'était pas possible et que c'était en fait la dernière blague à la mode sur Facebook ? Les blagues et lui ça faisait deux, quant à la mode... Ouais, passons. D'ailleurs, est-ce que les gens utilisaient seulement encore Facebook de nos jours ? Certainement que depuis, il y avait dû y avoir toute une myriade d'autres trucs où on ne présentait bien évidemmment que les choses les plus positives de sa vie, histoire de bien coller le bourdon à celui qui venait voir votre vie si parfaite sur votre "mur". Même pas sûr que ça s'appelait encore un "mur" d'ailleurs...

Il préféra donc ne rien répliquer laissant le silence lourd et pesant lui répondre à sa place. Parce que si, c'était possible et ça n'arrivait pas qu'aux autres.

Portant un regard attentif sur elle, il la laissa donc assimiler les choses. Parce que « Ca va… », il ne fallait pas être devin pour voir que ça n'allait au contraire pas du tout !

Finalement sa patience porta ses fruits puisque Aloysia finit par s'ouvrir un peu et c'était là que le véritable travail commençait, enfin d'après les dires de Mama Admin et elle savait généralement de quoi elle parlait. Passant sur les remerciements qu'il aurait préféré ne pas avoir, il se retrouva devant le Il le savait et il n'a rien dit.

"Et il a bien fait. Aloysia, c'est normal qu'il ne t'en ai pas parlé. Les gens ne savent pas ce que c'est, il faut l'avoir vécu pour parvenir à mettre des mots dessus et à savoir de quoi tu parles..."

Il imaginait sans mal la révolte d'Aloysia à ça parce que ce ne devait être à ses yeux qu'une trahison de plus. Et par sa propre famille cette fois-ci.

"Mets-toi à sa place... Comment annoncer à sa soeur qu'elle s'était faite violer ? Et quand le lui dire ? Entre le fromage et le dessert ? Et avec quels mots ? Oh au fait, je t'ai pas dit un truc qu'il faut quand même que je te dise... Ou même comment te regarder à ce moment-là ? Est-ce qu'il lui fallait te prendre dans les bras ou pas ? Est-ce qu'il devait te demander pardon de ne pas avoir été là ? Est-ce qu'il devait minimiser ou t'en parler comme s'il devait annoncer la mort de ta fille ? Et des tas d'autres questions du même ordre par peur de mal faire ou de tomber dans le misérabilisme alors qu'il se sentirait tout de même coupable de ce qui est arrivé... Et est-ce que tu aurais accepté qu'il vienne mettre en avant sa propre culpabilité, son incompréhension ou même sa colère alors que ça te concernait toi et non lui ?"

Tout cela, il l'avait lu un nombre incalculable de fois sur le forum avec toujours les mêmes commentaires dégoûtés accompagnant le tout. Alors que c'était en vérité facile pour personne.
Ni même pour lui en cet instant. C'était généralement Mama Admin qui gérait ça, lui se cachant derrière ses conseils juridiques même si parfois lorsque le courant passait bien comme cela avait été le cas avec Aloysia, il parlait de sa propre expérience. Du moins, un peu.

"Face à ça, ta famille ou tes amis ne peuvent pas comprendre. Ni surtout t'aider. Parce qu'ils l'ont pas vécu... Tu es seule, et c'est bien pour cela que les gens cherchent à se suicider. Et qu'on est là, via le forum à tendre des perches. Au moins on y sait tous de quoi on parle... Ca rend pas les choses plus faciles mais... t'es plus toute seule ?"

Haussant les épaules parce qu'à bien y réfléchir, tout ça sonnait quelque peu dérisoire alors que c'était pourtant la seule chose qu'ils pouvaient faire, il reprit pour clore le problème du Il le savait et il n'a rien dit.

"Et tu n'as pas eu besoin de lui pour savoir qu'il y avait un problème quelque part. Tu as su chercher et me trouver. Et même avec ton amnésie, il reste la mémoire du corps. Il y aurait forcément eu à un moment ou à un autre un truc qui... t'aurait amené à ça. Une situation qui aurait provoqué un flashback ou... n'importe quoi d'autre."

Pour demander presque timidement mais tout de même intéressé.

"Ca se passe bien dans tes relations ?"

Et il était resté vague exprès. Aloysia saurait forcément à quoi il faisait allusion mais elle avait toujours la possibilité de faire comme si elle n'avait pas réellement compris le sens de la question si elle ne souhaitait pas y répondre.

Et voilà, ils y étaient... Il n'avait pas fallut longtemps pour que le coupable idéal soit trouvé. Ce frère qui avait osé rien dire et qui allait maintenant le payer, pour cela et pour tout le reste, les souvenirs perdus et toute l'angoisse que cela allait générer... Parce que même si son frère lui avait avoué la vérité, il ne l'aurait jamais fait correctement aux yeux d'Aloysia. Pas assez tôt ou pas au bon moment, ou n'importe quelle autre excuse qui lui aurait permis de décharger toute sa colère sur lui. Elle avait juste besoin d'un exutoire et son frère était le coupable tout trouvé.

Il joua un moment avec sa petite cuillère en cherchant le meilleur angle possible pour aborder les choses.

"Aloysia, ta réaction aurait été exactement la même que maintenant. Et si dans dix ans ta fille se fait violer, est-ce que tu ne te sentirais pas coupable ? De ne pas avoir été là, de ne pas avoir vu que quelque chose se tramait, de ne pas avoir pu agir avant que ça ne se passe ? Tout ça, ton frère doit vivre avec tous les jours..."

Soupirant, il se décida à aborder ce qu'il en avait été pour lui. La situation était  certes différente mais pas le refus d'en parler au point de mettre tout ça sous une chape de plomb comme s'il n'y avait jamais rien eu. Juste parce que c'était trop compliqué pour tout le monde et qu'Aloysia n'avait en définitive pas été la seule à souffrir là-dedans.

Mais cela, il se doutait bien qu'il lui faudrait du temps pour parvenir à l'admettre. sans compter que son amnésie n'allait pas l'aider à dépasser cela... Ca allait forcément être très compliqué pour elle.

"Je n'ai jamais remis les pieds à Vancouver depuis que j'en suis parti. Ma mère adorait tous les ans faire plusieurs voyages à New-York pour venir me voir et faire les boutiques comme elle va adorer venir ici en vacances. C'est tellement plus facile de ne pas se poser de questions. Mon père... Un jour, son arme de service a disparu de l'endroit où il la rangeait habituellement. Je n'ai jamais pu remettre la main dessus. Mais ça c'est juste arrêté à ça. Ils savaient que j'allais mal mais comment voulais-tu que je leur dise que le gentil prof principal qu'ils accueillaient comme un messie à la maison parce qu'il s'inquiétait de moi était en fait une raclure de la pire espèce ? Ils l'encensaient tellement... Je ne pouvais pas leur faire ça, leur avouer la vérité leur aurait fait trop de mal. Alors j'ai pris sur moi. Et ton frère a fait exactement pareil, il a pris sur lui."

Laissant tomber la cuillère de ses mains qui alla atterrir sur la table dans un son sec, il reprit.

"Donc à toi de voir... Soit tu rejettes toute la culpabilité sur ton frère au risque de perdre la relation que tu as avec lui, soit tu acceptes que tu ne pourras pas t'en prendre à quelqu'un, vu que le vrai coupable est déjà mort..."

Ce qui voulait dire pas de procès, pas de 'réparation' quelconque, ni même le moindre statut de victime accordé à Aloysia. Même si de son avis, ce dernier point était plus un cadeau empoisonné qu'autre chose. Tout comme la 'réparation' d'ailleurs... Comme si on pouvait réparer quoi que ce soit après un truc pareil ! Quant au procès, fallait-il encore vouloir mettre ça sur la place publique... Tout cela donnait donc un sacré sentiment d'impunité vis-à-vis du coupable. Mais il était mort et ça s'arrêtait juste à ça. Et il y avait peut-être même des gens pour aller pleurer sur sa tombe...
Mais il y avait cependant un avantage, et de taille, à cette mort.

"Mais au moins, tu n'auras pas à craindre de le voir réapparaître dans ta vie. Et crois-moi, quand ce genre de chose arrive, même si ce n'est que sous la forme d'une simple carte postale, tu... Tu ne sors plus de chez toi pendant une semaine entière."

Et il passait sur la terreur qu'il avait pu ressentir à l'idée que celui-ci puisse soudainement franchir la porte. Après tout il connaissait son adresse, et sans doute même ses habitudes de vie... Il avait fallut que le cabinet d'avocats où il travaillait s'inquiète de sa "grippe" qui n'en finissait pas pour qu'il parvienne à remettre un pied dehors. Contraint et forcé, et blanc comme un mort. Au moins son histoire de grippe était passée comme une lettre à la poste.
Bien que vu le tempérament de la demoiselle, celle-ci aurait pu sans doute aller au-devant de son agresseur pour aller lui demander des comptes. Après tout, tout le monde n'initiait pas une relation de trois ans avec un pervers narcissique juste après leur viol. Enfin d'après Mama Admin, lui ne s'y connaissait pas assez en psychologie pour reconnaitre un pervers narcissique d'un autre. Il savait juste qu'il en avait une trouille bleue et c'était largement suffisant pour lui.

Mais Aloysia avait elle bien d'autres problèmes qui l'attendaient. A commencer par ses relations sentimentales qui allaient forcément en pâtir. Si -et d'autant plus avec son caractère !- elle ne dynamitait pas tout par elle-même, histoire d'aller plus vite.

"Aloysia, tu risques de tomber au fond du trou. Et lorsque tu auras bien rejetté tout le monde autour de toi, si tu sens que tu as besoin d'aide... Appelle-moi. Ou va sur le forum."

Oui, il insistait. Parce que sur le forum, il y avait Mama Admin qui saurait forcément mieux faire que lui.

"On n'est peut-être que des étrangers dont tu ne te souviens plus mais nous, on a vécu la même chose que toi. On sait ce que c'est. Les autres ne peuvent que l'imaginer... Lorsqu'ils arrivent à en parler."

Ce n'était après tout pas pour rien que les gens cherchaient à se suicider après un viol et que c'était même utilisé de part le monde comme arme de guerre. Le sentiment de vivre seul à côté du monde qui lui n'avait pas changé était juste atroce. Un peu comme si on frappait et hurlait derrière une vitre où nul ne prêterait attention trop occupé à profiter d'une fête à laquelle on n'était pas invité... Et ça, Aloysia n'allait pas avoir d'autres choix que de l'expérimenter à nouveau.