Chapter I : The letter

Il courrait, Dean. Les cheveux au vent, les jambes aussi rapides que les pattes d'un guépard. Il courrait en élançant ses bras pour gagner toujours plus de terrain. La main droite accrochée à une lettre, il avait arrêté de compter les jours durant lesquels il l'avait tant attendue, ouvrant la boite aux lettres le cœur battant, la refermant toujours avec une pointe de déception. Mais pas aujourd'hui, non : aujourd'hui avait été le grand jour. Il n'avait pas eu le courage de défaire le papier, tout du moins pas tout seul, et son premier réflexe avait été de se dépêcher jusqu'à la maison de sa petite-copine. Et tant pis s'il devait parcourir une bonne partie de Miami à pieds, il venait de gagner en motivation et en force, son corps ne semblait plus pouvoir répondre à la douleur des kilomètres en vitesse de pointe. Il courrait, Dean, sans ressentir le besoin de s'arrêter. Ses poumons étaient grand-ouverts et il avait adopté une respiration à un bon rythme de croisière. Rien ni personne ne pouvait plus le stopper, pas même le temps qui paraissait ne plus exister.

Lorsqu'il était arrivé devant la porte des Khouri, il avait frappé de toutes ses forces la menuiserie de la moustiquaire tout en hurlant le prénom de sa chère et tendre. L'autre avant-bras était resté sur la chambranle pour soutenir le poids de son corps meurtri par un point de côté. Il n'avait cessé de faire du boucan jusqu'à ce que le visage de la syrienne n'apparaisse. Il avait souri, et elle était envahie de panique. D'abord, il y avait eu quelques réprimandes du fait de la présence de ses parents et grands-frères à la maison, mais tout s'était apaisé au moment où il avait brandi l'enveloppe devant ses yeux persans. La colère qui avait rougi son regard s'était transformée en émerveillement, et il n'avait pas fallu grand-temps à la demoiselle pour l'inviter à entrer. Et, après un bref salut respectueux aux autres membres de la famille, ils étaient tous deux montés dans la chambre de la grande adolescente à la chevelure ébène enveloppée gracieusement d'un hijab beige rosé. Ils avaient pris place sur les draps et s'étaient empressés de découvrir la réponse aux examens passés.

A la lecture des paragraphes, ils avaient très vite compris que le jeune homme avait réussi haut la main, et qu'il allait bientôt partir rejoindre son unité. La joie s'était faite ressentir sur les traits expressifs de Dean quand les gemmes de sa vis-à-vis avaient exprimé fierté et soulagement. Leurs pierres s'étaient ensuite croisées pour échanger de manière muette sur leurs sentiments respectifs, et ils n'avaient pu satisfaire leurs émotions qu'en partageant un long baiser après ça. Ils étaient conscients que les jours loin l'un de l'autre allaient être nombreux, mais il avait promis de lui revenir, et elle de l'attendre. Et, pour montrer sa sincérité, elle s'était retirée de ses lèvres, l'esquisse aimante, avant de porter ses mains à son foulard qu'elle avait décidé de dénouer devant lui. Elle avait laissé ses cheveux tomber à la vue de l'homme qu'elle voulait sien, et il s'était senti pleinement honoré, était même venu frôler la texture de ses boucles foncées. Alors, ce matin-là de leur dix-huitième année, ils avaient voulu se donner l'un à l'autre en toute discrétion.

Dans quelques semaines, l'asiatique allait être appelé à servir son pays, mais les deux amants étaient persuadés que leur trois années de relation allait survivre aux mois et aux kilomètres.  

Chapter II : Far away

Juin 2015, les Etats-Unis venaient de promettre quatre cent cinquante hommes supplémentaires en Irak dont quelques militaires des forces spéciales. Après plusieurs mois d’entraînements intensifs en tout temps et des nuits comptant à peine quatre heures de sommeil, Dean et ses compagnons de l'O.D.A. avaient été appelés en renfort. A bord de leur avion, les douze coéquipiers des forces spéciales étaient attachés à des sièges positionnés sur toute la longueur de l'habitacle. Déjà parés et armés, leur gros sac de combattant était posé entre leurs jambes, prêt à être jeté sur leurs épaules. Pour la plupart, ils savaient déjà à quoi s'en tenir. La majorité n'était pas à leur première guerre, et se permettait de faire redescendre la pression quand les nouvelles recrues préféraient miser sur une totale concentration, restant à l'affût du moindre signe, du moindre bruit suspect. Ils étaient envoyés en simples conseillers, mais le danger ne les épargnera pas pour autant; ils avaient touché la terre irakienne en descendant la corde sous les coups de feu lointain d'un groupe djihadiste.

Après avoir partagé des tactiques et s'être assurés de la sécurité des endroits où ils avaient siégé durant des mois, les forces spéciales et militaires des Etats-Unis étaient enfin envoyés sur le front, accompagnés de leurs semblables de tous pays. Un seul mot d'ordre : reprendre la grande ville de Mossoul des mains de l'Etat islamique; c'était au mois d'Octobre 2016. Dépêchés à l'Ouest auprès d'autres frères d'armes, Dean et ses camarades de bataillon avaient débuté l'offensive aux alentours de six heures du matin du jour dix-sept, et avaient avancé sur une dizaine de kilomètres, prenant par les armes les villages alentours. Les habitants avaient été prévenus par envoi aérien de tracts des consignes de sécurité à adopter, et ainsi les soldats avaient pu éviter d'abattre des milliers d'innocents. Les défenseurs étaient attaqués par des dizaines de véhicules piégés de l'El mais les frappes aériennes se voulaient plus nombreuses. Aux pieds, le sang se mêlait à la terre, relevant une odeur nauséabonde. Jour après jour, l'ouïe était victime des sons stridents éjectés par les armes.  

Ils étaient entrés dans Mossoul début Novembre de la même année, ralentis par la défensive des troupes islamiques sur place et la présence de civils au milieu de la bataille. Beaucoup d'images choquantes ne pouvaient que rester ancrées dans la tête des soldats, et Dean se rappellera toujours de cette famille sortie de nulle part, naviguant entre les balles et les mines posées dans les rues de la ville, quémandant de l'aide et de la sécurité à l'armée. Malgré les signes incessants de nombreux patriotes, tous les membres, parents et enfants, avaient vu leur vie s'arrêter par une détonation vive et bruyante. Les corps s'étaient éparpillés sur plusieurs centaines de mètres, donnant la nausée à nombreux des militaires. Malheureusement, ils n'avaient pas été les premiers, pas même les derniers. Et chaque soir, alors que les soldats permutaient pour un peu de repos, ce n'était pas le visage de leurs proches dont ils tentaient de se souvenir, mais des visages de chacune des victimes. Les yeux rougis par la fatigue, et humides par la poussière et les fumigènes, ils demandaient au Ciel de rentrer chez eux vivants.  

Le 7 Juillet 2017, une centaine de djihadistes avaient lancé une dernière attaque désespérée, en vain. Il aura fallu neuf mois de bataille pour proclamer officiellement la victoire et la libération de la ville de Mossoul.

Chapter III : On leaving

Jusqu'alors, il avait accepté trois missions de près de deux ans chacune, acquérant respectivement quatre-vingt-dix neuf et quarante-deux jours de repos entre elles. Ils les avaient passé loin de la Floride, mais il fallait bien penser, un jour, à retrouver les siens. Dans l'avion, il n'avait cessé de braquer ses pierres sur la photo de famille qu'il avait emporté partout avec lui, et s'était remémoré la fois où il avait annoncé son départ, six ans plus tôt. Le repas s'était annoncé des plus calmes : le patriarche discutait des derniers faits divers avec les garçons avant que les filles n'étalent leurs préférences vestimentaires pour l'Automne approchant. Dean était plongé dans ses pensées, répétant silencieusement les mots qu'il avait intelligemment choisi; Allah savait ô combien il s'était torturé la tête pour ça. Au final, peu aurait importé la manière dont il aurait clamé son désir de rejoindre les forces spéciales, le désaccord avait fait l'unanimité. Même sa mère l'avait supplié à genoux de ne pas les laisser prendre sa vie; les Etats-Unis n'en valaient pas assez la peine à ses yeux.

Habillé de son uniforme médaillé, il avait soupiré à l'idée de croiser le regard de maman Hassani, et de lire une certaine déception à l'intérieur de celui-ci. Dans le Coran, les femmes se devaient d'être traitées d'une manière irréprochable, et les mères bien davantage. Ne pas s'être soumis à la volonté de celle qui s'était chargée de lui avait été un affront, et cela avait de quoi lui donner envie de faire vol-arrière, -pourtant, il n'avait jamais désiré fuir une seule bataille-. Il avait quitté subitement l'image familiale pour porter son attention sur le paysage qu'offrait le hublot; l'avion se préparait à atterrir. Tout lui semblait étranger vu du ciel et, même s'il s'était préparé à ne rien reconnaître, cela lui avait laissé un goût amer en bouche. L'annonce passée et le cœur battant d'excitation, il s'était levé de l'assise et avait suivi les autres passagers qui ne pouvaient s'empêcher de le fixer de haut en bas, imaginant les horreurs vécues ou commises. Il n'avait qu'une envie : doubler la centaine de voyageurs qui le précédaient. Non pas pour s'en éloigner, mais pour rejoindre au plus vite les siens.

Contrairement à ce qu'il avait pensé, il avait été accueilli par les sourires. Toute sa fratrie s'était déplacée. Ses trois soeurs étaient munies de pancartes chaleureuses et les deux hommes étaient venus tapoter son omoplate. Ses parents s'étaient rués l'un après l'autre sur lui pour lui offrir une étreinte aimante. Il n'avait jamais espéré autant, avait ressenti la fierté de son métier gagner en flèche. Mais il fallait se rendre à l'évidence, de nombreuses divergences subsistaient malgré tout, et il savait que, les semaines comptées, il allait passer le plus clair de son temps avec ses frères d'arme; sa deuxième famille. Elle avait été présente lorsque sa première petite-amie avait décidé de rompre trois mois après son départ pour l'Irak, décidant qu'il était bien trop difficile de vivre avec l'idée qu'il puisse ne jamais revenir. Ses camarades lui avaient remonté le moral lorsqu'il s'était fait tromper par la deuxième quelques jours seulement après qu'elle ait appris qu'il avait été grièvement blessé par une balle. Ils étaient importants, plus que n'importe qui.

Grâce à eux, il savait impossible de joindre une relation sérieuse à son métier. Et, aujourd'hui, quatre-vingt-douze jours restaient avant qu'il ne soit réquisitionné à nouveau, alors il comptait bien en profiter jusqu'au dernier !