+ la famille. la famille, c'est tout ce qui compte pour Bellamy. Tout ce qu'il a jamais eu dans sa vie, son seul point fixe, sa seule stabilité dans ses tourments. Pourtant, c'était pas gagné. Famille dysfonctionnelle, depuis le début. Son père est britannique, reporter établi au Mexique, sa mère est mexicaine. Lui n'a jamais été vraiment là pour ses enfants, toujours en train de barouder en Amérique Latine, au gré de ses reportages, tandis que sa femme restait à Tijuana s'occuper de Bellamy et de ses soeurs. Bell n'a pas vraiment de souvenirs d'enfance de son père. Il était toujours là, en tout cas, pour faire de nouveaux enfants. Bellamy a cinq soeurs, toutes plus jeunes que lui, la dernière étant née en 2007. En 2011, son père a changé de boulot, est rentré en Angleterre, et Bellamy ne l'a vu que deux fois depuis, pendant ses vacances. Il n'est pas proche de lui, c'est à peine s'il le connaît. Ses parents n'ont jamais divorcé, mais l'homme de la maison, ça a toujours été lui, dès ses seize ans. Il n'a pas eu le choix de l'endosser, pour ses soeurs et sa mère, dont il a toujours été proche. Le décès de sa mère, l'an dernier, a probablement été l'épreuve la plus difficile de sa vie. Elle n'avait que cinquante ans, emportée par un foutu cancer que personne n'a été capable de soigner. Elle était usée, usée par la vie, et Bell est intimement persuadé qu'elle a simplement cessé de combattre.

+ tijuana. Le début, et probablement la fin, de Bellamy. C'est dans cette ville frontalière, tristement connue pour être l'une des plus violentes du monde, que le jeune homme a vu le jour. Jusqu'à son arrivée à Miami en 2015, c'était tout ce qu'il avait connu - cartels, crimes, drogues, pauvreté. Il pensait que c'était normal, que chacun devait faire ce qu'il fallait pour s'en sortir. Et c'est comme ça qu'il est tombé dans cet univers là. Bellamy a commencé le trafic alors qu'il n'avait que 15 ans, par nécessité surtout, pour aider financièrement sa famille. La drogue, c'est toute l'économie de la ville, le seul moyen de se faire des sous. Son teint pâle, son jeune âge et son allure juvénile en faisait une recrue de choix pour les cartels. Il n'éveillait pas les soupçons. À l'époque, son travail consistait principalement à aider le passage de la frontière. Et rapidement, il a commencé à consommer. Après le départ de son père, pour évacuer le stress, la colère, la tristesse. C'était un cercle infernal dont il n'est sorti de très tard ; rapidement, les drogues douces n'ayant plus aucun effet sur lui, c'est dans l'héroïne qu'il s'est plongé. Ça laisse des traces, autant physiques que psychologiques. Tijuana, Bell l'aime autant qu'il la déteste. Son foyer, les rues qu'il connaît par coeur, la ville où il aimé, mais aussi celle qui lui a tout arraché, enlevé à son amour, brisé ses rêves. Il ne peut s'en défaire totalement.

+ miami. C'est en 2015 que Bellamy a mis les pieds pour la première fois à Miami, accompagnée de sa mère et de ses soeurs. La vie était devenue trop dangereuse pour elles, au Mexique. L'activité de cartel, ça finit rarement bien, et Bellamy commençait à en faire les frais. Son comportement, provocateur à l'époque, avait fait des émules dans la ville. Paraît qu'il avait séduit la fille du patron, aussi. Bellamy recevait fréquemment des menaces de mort, mais il ne s'en inquiétait pas plus que ça. Il était habitué. Mais le jour où l'une de ses soeurs s'est fait agressée sexuellement par l'un des membres du cartel, pour se venger de lui, ce fut trop. Leur mère décida de déménager, elle ne pouvait plus risquer la vie de ses enfants. À Miami, Bellamy tenta de s'en sortir. Il entama, sans grand espoir, des études de psychologie, qu'il abandonna assez rapidement. L'enfer de la drogue l'avait rattrapé, et l'avait rendu incapable de faire quoi que ce soit. Bien qu'il ait juré à sa mère de ne plus jamais s'approcher des cartels, le manque d'argent le fit retomber dedans, à Miami. D'abord dans le trafic de drogues, puis dans le trafic d'armes. C'était tout ce qu'il avait toujours connu, les seules règles qu'il savait respecter. À vingt ans, sans diplôme et avec toute sa fougue de jeunesse, Bell était incapable de voir une autre issue à sa vie, même s'il méprisait le chemin qu'il empruntait. Au fond, il voulait juste être comme tout le monde.

+ l'amour, l'amour. Bellamy n'a jamais eu beaucoup de succès en amour. Ses histoires furent toujours un peu tragiques. Mais il concède en avoir vécu de très belles. Son premier amour, en 2013, était un garçon. Andrea, qu'il s'appelait. À Tijuana, il était le frère d'un membre du cartel rival. Il n'était pas comme Bellamy, c'était un garçon calme, qui rêvait de s'échapper de la ville, de faire des études, qui ne touchait pas à la drogue, surtout. L'opposé de Bell qui, à l'époque, à dix-sept ans, avait des ambitions dignes d'un Escobar 2.0. C'était une belle histoire, Bellamy en était follement amoureux. C'était aussi une histoire secrète, à cause du frère d'Andrea, et parce que le poids des traditions pèse lourdement à Tijuana. Un an après leur rencontre, le frère a appris la nouvelle, et a décidé de mettre fin à leur bonheur. Il a attrapé Bellamy en pleine rue et l'a poignardé, l'a laissé pour mort. Bell a passé un mois à l'hôpital, manquant de perdre son foie, et la vie au passage. Un procès ensuite, pour atteinte aux bonnes moeurs, qu'il a perdu évidemment. À Tijuana, il suffit de glisser quelques billets au juge pour que son jugement aille dans votre sens. Triste vérité. La dernière fois que Bell vit Andrea, c'était dans cette salle d'audience. Par la suite, il a disparu des radars. Bell n'a jamais eu de nouvelles de lui. Ça lui a brisé le coeur, l'a enfoncé un peu plus dans la drogue, l'a conforté davantage dans l'idée qu'il n'y avait pas de place dans ce monde pour les gars comme lui. Après Andrea, Bell était persuadé qu'il ne pourrait plus jamais tombé amoureux. À Miami, Bell a pourtant vécu une autre de ses belles histoires, avec une femme cette fois, Hannah. Ça n'avait pas été simple, au début, car Bell avait évidemment essayé de lui cacher tout le pan misérable de sa vie - la drogue, son métier, son addiction, sa bisexualité aussi, qu'il n'a jamais trop assumé. Elle ne venait pas du même milieu que lui, mais ensemble, ils ont réussi à faire un bout de chemin merveilleux. Ils se sont séparés après deux ans et demi de relation, mais deux ans et demi qui ont permis à Bellamy de se calmer, d'arrêter l'héroïne, enfin. La plus grande histoire d'amour de sa vie, ça reste celle avec sa fille. Bellamy est père d'une petite Charlotte, née en 2014. Par accident, sa mère n'était pour Bell qu'un plan-cul, ils n'ont jamais été très proches, mais il a tout de suite aimé sa fille comme il n'aurait jamais pensé aimer. En revenant de Tijuana en mars 2020, Bellamy a réussi à convaincre la mère de sa fille de le suivre à Miami. Il n'a pas la garde de Charlotte, mais la voit régulièrement, la prend chez lui les week-ends. C'est son rayon de soleil, peut-être le seul, d'ailleurs.

+ la galère. 2020 ne s'annonce pas vraiment sous les meilleures auspices, pour Bellamy. Il a passé l'année 2019 au chevet de sa mère, diagnostiquée d'un cancer au début de l'année. La voir s'éteindre à petits feux, et devoir être un roc pour ses soeurs, a été une épreuve particulièrement difficile. Une partie de lui est morte avec elle, la dernière chose qui le rattachait à son enfance, celle qu'il avait perdu trop tôt. Trois de ses soeurs étant encore mineures, il est désormais leur tuteur légal, un rôle qu'il a encore du mal à assumer. Il doit gérer leur tristesse, qui prend tellement de place qu'il ne sait plus où ranger la sienne. L'arrivée de sa fille en mars 2020 à Miami lui a certes mis du baume au coeur, mais c'est encore un poids qui s'ajoute sur ses maigres épaules. La mort de sa mère a été un électrochoc pour sa famille, et il est retourné passer quelques mois à Tijuana, pour se ressourcer. Elle avait souhaité être enterrée là-bas, sur la terre de ces ancêtres. Bell n'avait plus reconnu les rues de son enfance. En revenant à Miami, il a décidé, sur un coup de tête (c'est ainsi qu'il a toujours pris les grandes décisions de sa vie), d'arrêter totalement de travailler avec les cartels, près de neuf ans après avoir commencé. Il a décidé de rayer la violence de sa vie, d'arrêter l'engrenage infernal qu'elle engendrait. Seul souvenir qu'il garde de cette époque, des cicatrices, et cette petite larme tatouée à côté de son oeil, signe d'appartenance à son ancien cartel. Maintenant, il vivote, toujours entre deux emplois, sans jamais avoir la sécurité du lendemain. C'est difficile, d'entamer une vie normale à vingt-quatre ans. Il a l'impression d'avoir vécu plusieurs vies, plusieurs siècles.