Évacuer. Se dépenser. Oublier. Toujours être concentré. Depuis mon retour je m’applique à être toujours au top. Toujours parfait. Je ne veux pas tout faire planter. Voilà pourquoi je me retrouve régulièrement à la salle de sport. Ce matin… je me suis encore réveillé en sueur et le souffle coupé. Je n’ai su retrouver le sommeil. Je prends donc mon téléphone pour appeler la femme qui assiste maman quand je ne suis pas là. Les travaux ne sont pas encore commencés pour mettre en place la maison afin qu’elle puisse vivre avec son fauteuil roulant. Je veux ce qu’il y a de mieux pour elle. Je veux qu’elle puisse cuisiner comme elle aime. Qu’elle puisse se regarder dans le miroir pour se maquiller un peu. Qu’elle puisse se doucher par elle-même. Qu’elle ne ressente pas son handicap. Que ce chapitre de sa vie ne lui soit pas sans arrêt rappeler. Il y avait assez de mes cauchemars pour compliquer mon quotidien et mes nuits. J’attends l’arrivé de l’auxiliaire de vie. Entre temps je prends une douche et enfile un jogging, des baskets et un haut de sport. Tout ça en noir. Je ne me prends pas la tête. Lorsqu’elle arrive, je ne prends pas ma voiture. Je m’échauffe plutôt en courant, mes écouteurs dans les oreilles avec de la musique à fond. Je me retrouve dans mes pensées. Vingt minutes plus tard, je passe ma carte de membre à l’entrée de la salle de sport. Je me rends directement dans la salle où se trouve les sacs pour frapper. J’entoure mes mains de bandelettes. Je m’échauffe, je bois à ma bouteille d’eau. J’inspire profondément et... je commence à frapper le sac. Des émotions m’envahissent, des images s’emparent de moi, passant devant mes yeux tandis que je me perds dans le vide. Je frappe. Gauche droite. Droite gauche. Je m’emporte. Je frappe de plus en plus fort. La sueur coule le long de mes temps et mon corps brille de transpiration. Je suis essouflé. Mais je continue. Jusqu’à ce que mes poings me fassent mal. Il faut que j’évacue toute cette rage en moi. Je me dis parfois que c’est héréditaire. Je ne veux pas être comme ce salopard. Je ne serais jamais comme mon père. Jamais. Je m’y refuse. Je m’y refuse. Je frappe fort. Je m’explose les poings et fini par un coup décisif en voyant son visage devant mes yeux puis ma mère dans son lit d’hôpital. Je pousse un grognement et fini le front sur le sac, reprenant mon souffle, les paupières closes. Je dois me contenir. Je ne suis pas mon père... je ne suis pas mon père...

Cette vision me hante. Je me réveil presque toutes les nuits en sueur en revoyant ma mère dans ce lit d’hôpital. Sauf que dans mes songes… j’arrive trop tard. J’aurais pu arriver trop tard. J’aurais pu arriver face à son corps sans vie. Je ressens tant de haine. Une haine envers moi. Envers mon père. Envers ce connard. Je suis en transe. Je frappe. Je frappe le sac comme si je l’avais encore en face de moi. Je frappe et j’oublie tout. Il n’y a plus que ce sac de frappe et moi. Je ne repère pas l’homme qui est arrivé. Je ne remarque rien. Mes sourcils sont froncés. Mon regard est vide d’émotion. Mon aura est morte. Je transpire. Mon nez goutte. Je suis haletante. Je ne ressens que cette haine. Haine envers le père. Haine surtout envers moi. Car je passe mon temps à tout foutre en l’air. J’ai abandonné ma mère. Je l’ai laissé vive égoïstement avec un homme que je savais violent. Ayant été moi même battu par ma jeunesse. Et aujourd’hui je me rends compte quel con égoïste j’ai été. Je ne vaut pas mieux que lui en fin de compte. Je fini par donner un coup décisif et mon front reste appuyer sur le sac tandis que je reprend ma respiration. Quand alors la voix de cet homme me sort de ma torpeur. Je ne tourne pas la tête. Seule mon regard par dans sa direction. Puis je ferme les yeux de nouveau et je prend une grande inspiration. Une bonne technique. Je pourrais rire jaune. Je n’ai pas de technique. Je ne fais que frapper. Peut-être que je sais me battre. Oui ça je sais faire. Je sais me battre. J’ai appris à mes dépends à me défendre et j’ai toujours eu cette haine. Je me tourne alors vers le banc et arrive dans sa direction pour prendre une serviette. J’essuie mon front et je bois dans ma bouteille d’eau en écoutant ce qu’il me dit. Il se barre à une machine pas loin et je pose ma bouteille. Je me rend vers lui naturellement. Je m’appuie à la machine et ses mots sortent de ma bouche : « si j’avais besoin de parler je viendrais pas ici mais dans un cabinet de psy. Nan ? »je soupire et passe ma main dans mes cheveux : « et vaut mieux frapper un sac que frapper quelqu’un d’autre. C’est souvent pas très lucratif de ce que j’ai appris. » je souris en coin, presque sarcastique comme toujours et je reprend ses paroles : « croies en mon expérience » j’ai pas envie de paraître pour le connard. Ça doit être un bon gars a première vu. Ce qu’il a dit part d’une bonne attention. Mais je suis socialement mort. Je sais pas comment parler aux gens. Je savais déjà pas avant mais alors là… c’est pire. Je tend ma main pour me présenter : « Orel. Je t’ai jamais croiser ici » son visage ne me dis rien.

Je sais pas pourquoi mais il semble tiquer en entendant mon nom. Puis lorsqu’il se présente, ce nom résonne comme un écho dans mon cerveau... Chris. Je sais pas pourquoi mais ce nom je l’ai déjà entendu. Ho putain... Je sais. C’est ce mec. Ce mec qui a su faire battre le cœur de Erwan lorsque je suis parti. Enfin non peut-être pas. Y a pas qu’un Chris en ville après tout. Faut pas que je m’emballe. Mais j’ai cette putain de sensation qui veut pas me quitter alors. Mais lorsqu’il me parle d’un accident ça me semble de plus en plus évident. Mon poing se serre contre ma cuisse mais mon visage reste comme toujours fermé. Puis il me demande si je viens souvent ici moi aussi. Je devrais pas être connard. Après tout il m’a rien fait ce mec et peut-être que c’est un type bien. Je sais pas je le connais pas... mais j’ai cette drôle d’impression. Après tout... ce n’est pas lui qui semble avoir aidé Erwan à remonter la pente. Je ne sais rien de leur histoire et pour dire vrai j’ai pas vraiment envie de savoir... mais maintenant qu’il est en face de moi j’ai envie d’en savoir plus. J’essaie donc de faire comme si je me doutais pas de qui il pouvait bien être. Je baisse la tête. Je me râcle la gorge et je passe mon pouce sur mon nez en haussant les épaules : “J’ai disparu un moment de Miami” je choisis bien ce mot. Disparu. “Je me suis barrer après une sale histoire, le genre qui donne envie de souffler un bon coup. Puis là je suis revenue pour pouvoir reprendre ma vie en main et m’occuper de mes proches. Histoire d’arrêter les conneries” je le regarde dans les yeux. Je plonge mon regard dans ses prunelles. Je peux m’empêcher de parler avec une sorte de sens caché. Je sais pas si c’est lui. Et si c’est lui je sais même pas si Erwan lui a un jour parlé de moi. Mais en tout cas, soit il va comprendre, soit il va me trouver enigmatique. Je sais pas ce que je cherche en faisant ça. Mon côté con revient au galop mais j’essaie de le chasser. J’inspire profondément et je rajoute à sa question : “Non.. J'ai cassé des gueules à l’occasion. Mais sinon de base le sport c’est pas vraiment mon truc. Aujourd'hui ça me permet d’évacuer un trop plein histoire de plus casser de gueule... ça apporte bien trop de problème” je m’appuie à la machine à côté de lui et je croise les bras, ne le quittant pas des yeux : “et dis-moi Chris... tu fais quoi dans la vie ?... Puis pour être arrêter un bon mois t’as du bien te faire mal. Accident de travail?” on dirait un putain d’interrogatoire. Mais je m’en bas les couilles