Tes opales balayent la pièce presque vidée.
Elles contemplent ce qui est, ce qui n’est plus.
Vingt six années de vie misent à nues.
Autant d’épopées et de secrets emballés

Tu pousses un souffle léger. Le crayon vient raturer les quelques lignes dont les courbes noircissent ton cahier. T’as hâte que ça se termine, pas vrai Oona? T’en as pas vraiment connu des déménagements, t’avais quel âge la dernière fois trois ans? Quelque chose comme ça. C’est haute comme trois pommes que vous avez quittés Houston pour Miami. Tu n’as pas vraiment de souvenirs de ton Texas adoré, t’as toujours trouvé ça dommage. Après tout c’est là que t’es née. La bas que tu as poussé ton premier cri, fait tes premiers pas et toutes ces conneries. Y’a ta mère qui beugle dans l’escalier. Tu grognes cette fois, presque exaspérée. T’as besoin de dire au revoir à ta chambre d’adolescente. De cinq minutes. Prendre le temps. C’est con mais c’est comme ça. T’en as tellement de souvenirs ici. « C’est bon j’arrive! Je termine mon carton je descend! » alors que tu réponds toi aussi en criant. T’es ravie d’enfin quitter le nid. Salut papa, salut maman à moi la vraie vie. C’est un peu aussi pour toi l’occasion de t’éloigner de leur joug. De pouvoir respirer. Adieu les cris de ta mère agacée lorsque tu grattes tes cordes jusqu’à pas d’heure plutôt que de réviser. Au revoir l’hypocrisie de ton père qui en fait des tonnes car il sait que t’es au courant de ses petites sauteries avec l’une de ses employées. C’est donc à ça que ressemble la liberté? Serait elle si bonne que ça?

Tu inspires. Tu expires.
Lentement. Puis tu fermes ton cahier raturé.
Paraît que quand faut y aller, faut y aller.

Tes genoux craquent malgré ton poids plume et une courbette plus tard, te voilà sur tes deux jambes comme si rien était. Il ne reste plus qu’une boîte à fermer, le meilleur pour la fin qu’ils disent. Quelques pas suffisent à t’en rapprocher. Tes yeux sont brillants, Oona, lorsque la pulpe de tes doigts attrape un vieux cliché. Ça fait mal, encore. Ça fera mal, toujours. Y’a tes lippes qui s’étirent finement et tu viens serrer cette photo sur ton cœur. Putain. Ça fait combien d’années déjà? Neuf? Huit? Le temps file. Trop vite à ton goût, te laissant incapable de le retenir. Incapable de réparer certaines erreurs du passé. Ils te manquent. Diablement. Horriblement. Vous étiez comme ces fameux mousquetaires. Unis comme les doigts de la main et un pour tous, tous pour un. Jusqu'à la connerie de trop. Jusqu’à la trahison ultime. « T’es pas de notre monde Darling, il est temps pour toi de vieillir et devenir comme eux. » Ça a fusé comme une insulte. Dague plongée en plein cœur. C’est ce que Peter t’as balancé au visage alors que tu l’aurais défendu envers et contre tout. T’as été radiée du clan, expulsée de Neverland comme ça. Comme si Wendy n’avait jamais été. Comme si tu ne leur avait pas tout donné. Tu sens ton rythme cardiaque s’accélérer. Les enfants perdus, c’est toujours un sujet difficile à aborder. T’as perdu de vue tes vieux frères, ils ont reprit leur talisman doré. Coupé le fil rouge vous reliant dans l’ombre des nuitées.

« Vous étiez beaux, parfaits.
Imbéciles heureux, naïfs à souhaits.
Poussière de fée épuisée, plus de Peter pan.
C’est comme ça et pas autrement. » Lost boys track 3

Faut que t’y ailles, t’as plus vraiment le choix. Mais cette photo tu ne la mets pas dans son carton, mais dans la poche de ton short en jean. Tu veux la garder avec toi, la trimballer partout où tu iras. Parce que vous avez vieilli. Que vous avez grandi. Tu ne lui en veux plus tant que ça maintenant. Encore un peu mais c’est de bonne guerre avec Pan. C’est passé. Avec le temps. Beaucoup, cruellement trop a bien y penser. T’as un sursaut, ta mère semble mourir d’impatience. Tu te mets à fermer ce qui te sert à emballer tes petits morceaux de vie et tu glisses le paquet sous ton bras. T’es grande maintenant, y’a ton appartement qui t’attends. Une toute nouvelle vie n’est-ce pas? Alors que tu t’apprêtes a refermer la porte derrière toi, un message fait vibrer ton téléphone que tu tentes de fermement maintenir entre tes doigts. Sûrement une notification sur YouTube, des amis t’en as pas tant que ça. Tu ne regardes pas, t’es trop occupée à dire au revoir à ton sanctuaire adoré. C’est ici que Peter et toi vous vous êtes aimés pour la première fois. C’est ici que tu as pleuré toutes les larmes de ton corps plusieurs fois. Ici que tu as écrit, composé. Mais y’en aura d’autres pas vrai? Des moments aussi jolis, aussi parfaits. T’en es sûre et certaine que le meilleur t’attends.

Alors tu inspires et t’expires une nouvelle fois.
Et en une fraction de seconde la porte se referme derrière toi.