Kyle avait bien raison quand il disait que je n'avais pas du tout le look d'un psy. Ces gens-là ont toujours un style très classique, d'ordinaire, ne me demandez pas pourquoi. Les hommes sont serrés dans des costumes étriqués et les femmes boudinées dans leurs vielles robes. Je n'avais jamais porter de costume de ma vie et, croyez-moi sur parole, ce n'était pas demain la veille que j'allais m'y mettre. Je me pointrais avec ma dégaine habituelle, débardeur trop grand qui laissait entrevoir mon corps décharné et mes très nombreux tatouages ; j'aurais les pieds sur mon bureau et je jouerais sur mon téléphone en attendant que mon client ait fini de raconter sa triste vie. Ouais, ce métier n'était franchement pas fait pour moi. Rien que ma tête allait faire fuir les clients, c'était certain ! Et puis, je n'étais sûrement pas assez empathique. Je me fichais bien des problèmes des inconnus. En définitive, j'ignorais complètent pourquoi j'avais fait ce choix d'études mais j'étais persuadé que je ne les suivrais pas jusqu'au bout. Encore une de mes stupides décisions impulsive qui ne me mènerait absolument nul part. J'allais me retrouver sans taff et sans aucun diplôme.
« Bon beh si jamais un jour j’ai des problèmes, faut que je pense absolument ne pas venir dans ton cabinet ! » plaisanta Kyle. J'aurais peut-être dû prendre ce sujet au sérieux, vu qu'il s'agissait de mon avenir, mais ce n'était pas dans mon caractère de m'apitoyer ou même de prendre les choses au sérieux.
« Moi-même je n'irais pas me consulter » ris-je de bon coeur. Au pire, avec tout l'argent que je me faisais en dealant… J'avais pas trop à me faire de soucis. C'était plus une question de morale, d'éthique, mais qu'est-ce que cela représente quand on a des bouches à nourrir ?
« Ah merde…Et y’a pas un autre domaine qui te plait ? » m'interrogea-t-il. J'haussais les épaules, une moue amusée sur mon visage.
« Si, y'en a bien quelques uns, mais ils sont pas franchement légaux… » fis-je. S'il connaissait une fac qui faisait passer des diplômes de dealer, je ne dirais pas non.
Concernant ses relations, Kyle m'avoua être complètement amoureux qu'une fille. Je ne trouvais pas ça surprenant, venant de lui, mais j'admirais cette capacité qu'il avait de tomber amoureux comme cela et de l'avouer sans problème. J'avais réellement du mal à m'attacher et quand cela se produisait, il fallait encore un certain temps pour que j'arrive à me l'avouer. Notre relation avec Hannah n'avait pas été de tout repos, de fait.
« Ahahah, il faut un début à tout. Et ça fait longtemps que vous êtes ensemble ? » me demanda-t-il. Un début… En vérité, ce n'était pas ma première expérience de "relation sérieuse". Il y avait eu Andrea, encore et toujours ce type qui revenait sans cesse dans mon esprit. Le fantôme d'un passé révolu. Lui avait été mon grand amour, celui qui vous retourne les tripes et que vous avez envie de crier au monde entier. Mais encore une fois, je ne comptais pas révéler cela à Kyle.
« Ça fait quelques semaines. J'te jure, mon gars, que c'est archi bizarre. Enfin je suis pas habitué quoi. C'est tellement… officiel ! J'ai pas le droit à l'erreur » marmonnai-je. Ça me faisait encore tout drôle, parce qu'avec Andrea, nous n'avions pas été un couple vraiment officiel. Nous devions sans cesse nous cacher.
Mine de rien, malgré sa tête de petit garçon innocent, avec sa chevelure blonde et sa belle gueule, Kyle avait un passé de délinquant. Disons qu'il aurait pu faire un aller simple en prison s'il n'avait pas été mineur à ce moment-là. Nous avions tous les deux fait des conneries dans notre jeunesse mais lui avait su s'en sortir, tandis que moi j'y étais toujours enfoncé jusqu'au cou. Mais c'était tant mieux pour lui, car il méritait sûrement plus que moi de s'en être sorti. C'était un garçon bien, et ses conneries ne le définissaient pas.
« Oh, c’est pas l’envie qui manquait à ma mère, heureusement il y avait mon père » plaisanta-t-il quand je lui demandais comment sa mère avait fait pour ne pas le tuer en apprenant la nouvelle. J'avais dû voir sa mère quelque fois et elle m'avait semblé assez strict, contrairement à la mienne. Je lui demandais des nouvelles de sa soeur, car j'avais appris qu'elle allait se marier. Je ne connaissais pas du tout Sky, juste de nom, car elle sortait avec un acteur et il avait dû m'arriver de la voir en photo dans des magazines ou sur internet.
« Oui et elle a eu un petit garçon récemment. Elle vit dans le bonheur quoi. » me répondit-il. Pour une fois que l'on pouvait trouver bébé et bonheur dans la même phrase ! À Miami, j'avais l'impression que les grossesses heureuses étaient choses rares.
« Ça veut dire que t'es tonton, dis donc ! Pas trop dur de changer les couches et tout le bazar ? » commentai-je. J'avais personnellement du mettre environ une semaine avant de comprendre le mécanisme de la couche. Et j'étais encore loin d'être un pro.
« Woh woh… on est pas ensemble alors tu vois t’as le temps ! Elle s’appelle Audrina. » Un petit sourire se dessina sur mon visage. Je ne connaissais aucune Audrina, mais avec un nom pareil, j'imaginais une petite blonde au visage innocent. « J'imagine, mais comme ça j'ai le temps de me faire à l'idée » ris-je doucement. Puis, mon téléphone vibra. C'était Cassidy.
Ton prof de psycho vient de passer dans le couloir en gueulant que si ce maudit Frobisher ne se pointait pas, il allait en prendre un dans le derrière. À mon avis, tu ferais bien de ramener tes fesses. Elle avait plutôt raison. Mon prof de psycho était un homme qui faisait bien une tête de plus que moi ; il n'était pas si vieux que ça et puis, au fond, j'avais une certaine once de respect pour lui.
« Hey, écoute, faut vraiment que je file là. J'suis déjà bien en retard. Mais c'était vraiment cool de parler avec toi. Faudra qu'on se revoit bientôt, Keith » Je me rendis rapidement compte de mon erreur.
« Kyle, Kyle, excuse moi ».
Emi Burton