La scène aurait pu paraître un peu niaise. Deux jeunes gens assis dans un lit d'hôpital, se faisant des serments éternels au milieu de cet univers aseptisés. On aurait pu en faire un film d'amour à la manière de Nos Étoiles Contraires, songeais-je. Sauf qu'au lieu des cancéreux, ce serait des barges. Fallait que je pense à noter l'idée pour l'envoyer aux producteurs hollywoodiens, ça pourrait faire un carton phénoménal. D'ordinaire, j'étais pas fan des moments comme celui-ci, pour la simple et bonne raison que j'étais toujours incapable de garder mon sérieux. Mais là, bizarrement, je n'avais pas envie de rire ou de faire le clown. C'était la queue entre les jambes que j'étais venu voir Nessa et le fait qu'elle accepte son traitement me semblait être un miracle. Et mieux encore, elle était reconnaissante que je l'ai faite internée. Je ne me sentais plus aussi coupable que lors de mon arrivée ; j'étais infiniment content qu'elle aille mieux. Je retrouvais là la Nessa que je connaissais, celle avec qui j'avais pris la décision un peu folle de partir au Mexique, celle avec qui j'avais partagé mes seuls moments heureux ces derniers mois. Alors oui, cette Nessa là avait besoin de médicaments pour réapparaître, mais j'avais bon espoir que tout cela ne serait que provisoire. Un jour, Nessa serait assez forte pour vaincre ses démons seule, mais jusque là, elle avait besoin d'aide. Et alors que je lui promettais que je ne la laisserais pas tomber, je sentis qu'elle venait d'accepter mon aide qu'elle avait tant refusé ces derniers temps. Elle m'accordait sa confiance, cette confiance si précieuse qu'elle ne donnait plus depuis longtemps tant on l'avait trahie. Je sentais tout cela sans qu'elle ait besoin de le dire. Sa façon de me regarder, son sourire, tout me le montrait. Moi même je ne croyais pas vraiment aux belles paroles, je ne croyais qu'aux actes, mais elles semblaient vraies, ainsi échangées. Parce que ni Nessa ni moi n'étions très friands de paroles en l'air, et pourtant, dans à ce moment précis, nous y croyions. Nessa avait été abandonnée, salie, trahie, elle n'avait pas eu de chance et tous ces tourments l'avaient façonnée. Personne ne semblait réellement se soucier d'elle, avant Dawson et moi, et peut-être qu'au fond elle avait cherché tout ça. Peut-être qu'elle avait repoussé les personnes qui voulaient s'occuper d'elle ou qu'elle même les avait trahis. Mais c'était comme si elle n'était pas vraiment responsable de ces actes. Personne ne s'en était rendu compte et Nessa s'était retrouvée livrée à elle-même. Je n'arrivais pas à croire qu'il ne puisse y avoir que moi qui l'apprécie assez pour l'aider à se battre. Ou alors tous les autres étaient des imbéciles. Mais moi je l'aimais vraiment, je voulais qu'elle s'en sorte, sûrement parce que je connaissais les affres de la maladie et que je ne voulais pas qu'elle souffre plus longtemps.

Je la regardais, assise sur son lit, ses yeux plongés dans les miens, ses cheveux blonds tombant sur ses épaules. Elle n'était plus une adolescente mais elle n'était pas encore complètement une femme. Dix-huit ans et tellement de souffrance... Ce n'était pas juste qu'un être humain puisse souffrir aussi à cet âge-là. Quand j'avais dix-huit ans, j'étais encore un gosse, bon certes un gosse avec le joint au bec, mais je profitais à fond de cette enfance que je m'apprêtais à laisser derrière moi. Je m'amusais, je vivais à fond, j'étais toujours heureux. J'étais immature, aussi, mais je m'en fichais. Nessa était à l'opposé de tout cela, trop occupée à mener ce combat intérieur pour pouvoir profiter. Mais elle avait le droit d'être jeune, le droit de s'amuser, et ce n'était pas sa maladie qui allait l'en empêcher. Plus maintenant. « Pourquoi n'es-tu pas mon amoureux, Charlie Wexforth ? Tout serait tellement parfait. » me dit-elle. Parce que tu as le don de t'attacher aux mauvaises personnes, pensais-je. Parce que tu es auto-destructrice et que sans t'en rendre compte, tu choisis d'aimer les personnes qui te font le plus de mal. Cette pensée me rendit un peu triste, parce qu'elle était toujours profondément attachée à eux. Je l'avais bien remarqué, quand Nessa aimait quelqu'un, elle l'aimait à fond et pour longtemps. « Je prends ça pour un compliment » souris-je. Puis, elle s'allongea sur le lit, la tête posée sur mes genoux. Elle prit ma main et commença à jouer avec mes doigts. Ma main semblait immense à côté de la sienne. Si un médecin venait à entrer et nous trouvait comme ça, malgré « l'interdiction de contacts physiques », je crois que j'étais bon pour un aller simple direction la porte, avec un coup de pied au cul et l'interdiction de revenir. « Tu sais quoi, en sortant d'ici je veux aller en Europe. Je sais pas encore où.. L'Angleterre, l'Italie, la France.. Je suis sûr qu'il y a beaucoup moins de malades mentaux dans notre genre là-bas ! Ca doit être paisible. » fit-elle d'un ton rêveur. Je ris doucement. « Tu parles, ce sont les mêmes malades mentaux, mais ils braillent dans une autre langue » plaisantai-je. Je passais une main dans mes cheveux, un sourire sur mes lèvres. Je me rendis compte que j'étais très fatigué. Exténué, même. La situation de Nessa m'avait fait beaucoup stresser ces derniers temps, et s'était rajouté sur ma pile déjà haute de problèmes. Aussi, maintenant que tout cela était pratiquement réglé, je me rendais compte à quel point j'avais besoin d'un repos que je ne trouverais pas. « Je vais à Londres bientôt, pour un mariage. Tu pourrais venir avec moi, genre... en tant que cavalière » proposai-je. J'ignorais si elle connaissait Sky ; je ne vois pas comment les deux filles auraient pu se connaître mais le monde était parfois plus petit que ce que l'on pourrait croire. En tout cas, Sky ne m'avait jamais parlé d'elle, même si ça faisait un petit bout de temps que nous ne nous étions pas vu. Avec les préparatifs de son mariage, elle avait été débordée. « Et là, on pourrait visiter. Comme des vacances, tu vois ? Après on pourrait même aller en France, par le tunnel. On irait à Paris ! » J'étais soudain tout excité par l'idée de prendre des vacances avec Nessa et en Europe. Je n'avais jamais quitté le continent américain, je n'avais d'ailleurs jamais pris l'avion, et l'idée d'effectuer ce périple en sa compagnie me plaisait beaucoup.

Je venais de proposer à Nessa de m'accompagner au mariage de Sky et Colton à Londres tant l'idée d'y aller avec elle me paraissait plaisante. J'étais déjà tout excité par ce voyage, car je n'en n'avais pas l'habitude. Je ne voyais pas énormément. J'avais toujours habité à Washington et je passais chaque vacances au Canada avec ma famille. Mon environnement changeait donc rarement. Notre virée au Mexique fut pour moi ma première fois dans ce pays dont je n'avais, au final, pas vu grand chose car j'y avais passé le plus clair de mon temps complètement déchiré. Mais là, c'était différent. Londres, l'Angleterre, l'Europe ! C'était une toute autre culture qui s'ouvrait devant moi. Une terre lointaine, aux moeurs différentes. Rien que le fait qu'ils ne fêtent pas Thanksgiving ou le MLK Day m'intriguait. J'avais déjà fait dans ma tête la liste des choses à faire quand je serais là-bas. Je m'étais bien renseigné sur la ville et Blake trouvait même que cela devenait flippant. C'était tout à fait moi, ça : me jeter à corps perdu dans de nouvelles idées. Je m'emballais toujours beaucoup pour ces choses là. En bon touriste, j'avais prévu d'aller voir la relève de la garde, la cathédrale St Paul, l'abbaye de Westminster, la Tour de Londres, le London Eye, et les fameux magasins tels de Harrods ou Fortnum and Mason. Bref, j'avais tout prévu et cela s'annonçait génial. Mais si Nessa venait… Et si en plus nous allions à Paris… Ce serait parfait. Paris était une ville qui faisait rêver. La Tour Eiffel, l'architecture, ces grands boulevards… J'allais devoir me renseigner cette ville aussi. Moi qui ne savait pas quoi faire de mon été… ! J'étais bien décidé à emmener Nessa là-bas. C'était une décision complètement impulsive et irréfléchie, mais n'étaient-ce pas les meilleures ? J'étais presque certain de ne pas regretter. Je n'avais jamais regretté le Mexique. Et puis, ça allait lui changer les idées. Et les miennes, par la même occasion. J'avais eu tendance, ces derniers temps, à m'oublier complètement. J'avais été tellement occupé par les soucis de Nessa que j'en avais oublié les miens, et le retour à la réalité serait très dur. Alors si je pouvais retarder ce moment…

Les yeux de Nessa pétillèrent quand je lui demandais de m'accompagner au mariage, et ensuite, à Paris. Elle n'aurait pas eu besoin d'ouvrir la bouche que j'aurais deviné qu'elle était partante. Nessa était tout aussi impulsive que moi et sur ce point, nous nous complétions. J'aurais pu prendre n'importe quelle décision farfelue qu'elle m'aurait suivie, et inversement. « Au mariage de Sky et Colton ?! On c'est rencontrés il y quelques mois avec Sky, comme toi elle a essayer de m'aider.. Elle m'a demandé d'être demoiselle d'honneur ! Bon, je pensais pas pouvoir y aller mais.. Si tu viens avec moi.. » m'annonça-t-elle. Alors là, je n'aurais jamais cru qu'elle connaisse Sky. Mais cela ne m'étonnait pas que Sky ait voulu aider Nessa. C'était parfaitement dans sa nature. Je l'avais rencontré à l'hôpital, et malgré les circonstances, elle m'avait semblé être une fille pleine de joie de vivre et très compatissante. Elle était du genre à faire passer tout le monde avant elle, juste par bonté d'âme. C'était dans sa nature. Sky était véritablement un petit ange. Nessa avait de la chance de l'avoir dans sa vie. Elle l'avait même choisie comme demoiselle d'honneur. « …T'as intérêt de ramener tes fesses » souris-je doucement en complétant la phrase de Nessa. « On montera en haut de la tour Eiffel ? » me demanda-t-elle avec une expression enfantine. J'oubliais parfois qu'elle n'avait que dix-huit ans. Bon sang, nous avions sept ans d'écart et j'avais généralement l'impression qu'elle était largement plus mature que moi. « Si on arrive à grimper tous les escaliers, et qu'on ne meurt pas écrasés sous la masse de touriste, évidemment » souris-je. J'étais tout aussi excité qu'elle. Nous aurions sûrement continué de faire des plans pour notre voyage à Paris si une infirmière n'avait pas débarquée dans la chambre. Nessa et moi nous éloignâmes l'un de l'autre presque instantanément. Elle nous informa que les visites étaient terminées pour aujourd'hui mais que je pourrais évidemment repasser demain. Je me levais doucement et serra discrètement la main de Nessa. Mon corps se trouva entre l'infirmière et elle, si bien que celle-ci ne put voir que j'avais bravé l'interdiction. « Je viendrais demain. Et tous les autres jours. Enfin, si tu veux bien de moi » chuchotai-je. Je lâchais sa main et sortis de la chambre, en lui faisant un petit signe de la main. L'infirmière me raccompagna jusqu'au bout du couloir, comme si elle voulait s'assurer que je ne revienne pas en douce. J'avais dans l'idée que nous pourrions utiliser ce temps pour organiser notre voyage à Paris. Cela donnerait une sorte de but à Nessa : si elle prenait bien son traitement, elle sortirait à temps pour se rendre au mariage et à Paris. Et cela me changerait clairement les idées. Je sortis de l'hôpital le sourire aux lèvres, alors que j'y étais entré le moral dans les chaussettes. L'effet Nessa, je suppose.

RP CLOS.