carve it in the ice of our frozen hearts

ALOYSIA & ERWAN

Erwan n'était certainement pas un pro du patinage. A vrai dire, il avait toujours été attiré par ce qui touchait de près ou de loin à l'artistique, collé devant son écran à regarder des spectacles qui faisaient rêver. Puis il avait essayé, quand il était gosse, et avait vite compris que sa maladresse ne lui laisserait jamais la moindre chance. Alors il oublia bien rapidement ses rêves de championnats et de portés ainsi que les collants brillants, pour se concentrer sur des passions un plus réalisables. Disons que le taux de fréquence de rencontres entre son nez et la glace fut assez pour le dissuader. Il n'avait pas complètement abandonné, avait continué à venir durant son enfance. Il s'installait dans les gradins et faisait ses devoirs en regardant les autres s'entraîner. C'était tout aussi satisfaisant et largement moins dangereux. Puis, sa vie changea radicalement et il oublia le patin.

C'était peut-être l'absence d'un vrai hiver que le poussa à se rendre à la patinoire. Lui qui avait grandi à New York, sous la neige. En tous cas, quelque chose lui donna l'envie de s'y rendre, comme il le faisait avant, quand il venait regarder Aloysia patiner comme une reine. Un petit sourire se forma sur ses lèvres à cette pensée, puis il se concentra à nouveau sur ses deux pieds, évitant les trous dans le trottoir. Il avait trois heures devant lui, assez pour s'installer confortablement et profiter. C'était désert, à l'exception d'un groupe d'adolescents qui s'entraînaient. Il les regarda pendant quelques minutes, puis il grimpa les escaliers, les yeux collés à son téléphone, se dirigeant vers les sièges du haut. Au bout d'un moment, il remarqua des jambes dans son champ de vision. Il fut surpris, ne s'attendant pas à ce que quelqu'un soit là, assis sur la banquette, tout près des escaliers. Il releva les yeux, et oui, il y avait bien une jeune femme juste là, et... « A- Aloysia ? » C'était surprenant, mais tant que ça, au final. Et Erwan, qui ne savait pas comment lier sa vie d'avant et sa vie de maintenant, qui ne savait plus comment se comporter. Face à elle, c'était facile, il n'avait pas de mauvais souvenirs attachés à Aloysia. C'était un peu comme une bouffée d'oxygène tout à coup. Il réussit à contenir le choc, lui sourit. « Tu... Qu'est-ce que tu fais là ? » demanda-t-il, soudain surpris et heureux de la retrouver là, ici, dans un endroit si semblable à celui où ils avaient grandi. Et tellement de choses avaient changé, et Erwan avait disparu sans laisser de trace, mais tout à coup il avait comme oublié le passé.

Il se souvenait d'Aloysia, de la fille avec laquelle il avait grandi, à New York. De leur amitié, de la confiance qu'ils avaient l'un en l'autre. Il se rappelait la jeune femme, lui annonçant qu'elle attendait un enfant. Et Erwan, toujours enthousiaste, lui avait conseillé de garder le bébé, lui avait promis de la soutenir quoiqu'il advienne. A l'époque, Orel venait de s'en aller, et Erwan, enfoncé dans son mal-être, avait vu ça comme... une nouvelle chance peut-être, l'arrivée d'un petit être dans leur cercle. Une bouffée d'oxygène. Sauf que sa mère apprit pour ses sentiments envers son meilleur ami, son attirance pour les garçons. Et Erwan se retrouva dehors, s'en alla pour L.A, comme un imbécile et sans prévenir la moindre personne. Pas une seule pensée pour Aloysia à ce moment-là, rien. Peut-être qu'à cette époque déjà, il avait perdu un bout de lui-même. Il n'était plus tout à fait entier, il avait laissé des morceaux avec Orel, d'autres avec ses parents, et non... Il n'avait pas toute sa tête, même à ce moment-là. Même avant Los Angeles. « Ca se voit, non ? » répliqua-t-elle sèchement, et son sourire s'effaça légèrement. Il essaya de le cacher, de ne pas montrer que sa réponse lui faisait l'effet d'un poing bien placé en plein thorax. Et peut-être qu'il s'était dit que son amitié avec Aloysia était indestructible, que rien ne pourrait la détruire. Mais non, les relations humaines, ça s'entretient, et sans ça... Leur amitié n'était pas immortelle, et il en avait la preuve. Il avait disparu, s'était enfui comme un con, et voilà où ils en étaient à présent.

« Qu’est-ce que tu fous ici, à Miami ?... » interrogea-t-elle après un silence marqué. Il attrapa sa lèvre inférieure entre ses dents, signe de sa nervosité constante. Il réalisait enfin qu'il avait fait une erreur, mais il lui devait bien une réponse. Plus que ça, même. « Je, euh, je vis de ma musique. Je prépare mon premier album » répondit-il doucement, évoquant sa passion. Il ne lui donna pas de détails. Sa vie n'était pas bien intéressante, de toute façon, il n'avait pas la prétention d'aller penser qu'Aloysia en avait quelque chose à faire. Mais malgré tout, il se rendait compte que son amitié avec Aloysia n'était pas une certitude, qu'il était parti et qu'après ça, les choses ne pouvaient plus continuer comme avant. Et il lui devait des excuses, une explication, quelque chose. « Je suis désolé pour... je me suis retrouvé dans une situation... compliquée, j'ai paniqué et... ouais » C'était pitoyable, vraiment, et ça n'expliquait rien, mais il n'avait pas mieux à lui servir. Il n'avait pas la force d'entrer dans les détails, de lui expliquer que ses parents n'avaient pas supporté la révélation et qu'ils l'avaient simplement foutu dehors, puis de lui expliquer L.A... Non. Il passa sa main dans ses cheveux, autre signe de sa nervosité constante. Il baissa le regard, honteux, et vit alors la bosse sur le ventre d'Aloysia. Une bosse qui cachait un petit être, et instantanément, la situation le ramena quatre ans plus tôt. Même si à cette époque le bébé n'était qu'une vague idée, une présence invisible, presque irréelle. « Tu vas avoir un autre bébé ? » demanda-t-il en levant vers elle des yeux verts émerveillés comme ceux d'un gosse à Disneyland.

« C’est bien… » Il ne savait pas trop où se mettre, car clairement elle n'avait pas envie de le voir, elle n'avait pas envie d'entendre parler de lui. Et honnêtement, c'était compréhensible et il ne pouvait pas lui en vouloir. Il avait été con, déjà un pro de l'auto-sabotage à 21 ans à peine. Disons que ce défaut ne s'était pas arrangé avec le temps, au contraire. Erwan tenta de s'expliquer, de se justifier, mais il était peu convaincu du fait qu'il puisse mériter un pardon. Non, très franchement, il comprendrait tout à fait qu'Aloysia lui en veuille éternellement. C'était normal. Du coup, ses explications furent pitoyables, vagues. Comme s'il avait d'avance perdu tout espoir d'être pardonné. Il ne s'attendait pas à être accueilli à bras ouverts, mais peut-être que s'il avait eu un peu plus de cran, un peu plus de détermination... S'il avait été convaincu que ses excuses étaient valables, les choses se seraient mieux passées. « C’est tout ? Après 4 ans, j’ai juste droit à un « je suis désolé » ? J’ai attendu pendant des mois ton retour, mais non, rien et en plus de ça, pas un seul texto d’explication. Putain, je méritais pas ça ! » Non, elle ne méritait pas ça. Lui non plus, à vrai dire. Il aurait bien aimé lui expliquer tout en détails. Que tout était allé si vite, qu'il n'avait pas réfléchi, qu'il avait été égoïste et qu'au final ce qu'il avait fait en pensant se protéger avait peut-être été l'une des plus grosses erreurs de sa vie. Les engueulades, ça lui faisait peur. Il ne voulait pas que les choses escaladent et il se retrouva pris d'une petite panique en écoutant Aloysia.

« Non je... Mes parents ont su que j'aime les garçons, ils m'ont foutu dehors, je suis parti, j'ai pas réfléchi, puis j'avais plus de téléphone, je... » Il se coupa lui-même dans ses excuses teintées d'anxiété. Ce n'était pas juste de balancer tout ça à Aloysia, comme si c'était lui la victime dans toute cette histoire. Alors qu'il aurait simplement pu l'appeler à la seconde où il s'était retrouvé dehors. Mis le ventre d'Aloysia attira son attention, et ce fut un peu comme si quatre ans n'étaient pas passés. A l'époque, elle était enceinte,son ventre était encore plat, mais il y avait quelque chose... et voilà que c'était à nouveau le cas. Et c'était étrange pour Erwan, parce que oui, clairement la vie avait continué sans lui. Ce qui était logique mais malgré tout, l'effet était inhabituel. « Waouh, tu es perspicace ! » Il eut un mouvement de recul face à l'agressivité de sa voix, de ses mots. Etait-ce sa sensibilité parfois extrême, ou l'habitude de se protéger au mieux dès qu'un peu de violence fut dirigée contre lui ? Il n'osa ouvrir la bouche, comme un gosse se faisant punir. « Je vais avoir des jumeaux si tu veux tout savoir mais il n’y a pas d’autre enfant… » Ah. La deuxième partie de sa phrase paralysa Erwan. Elle avait peut-être perdu l'enfant, ou l'avait donné à l'adoption, ou avait décidé de ne pas le garder. Il était parti sans même se soucier de ça. Un gosse qui bien évidemment était loin d'être le sien, mais qu'il aurait pu considérer comme un petit bout de sa famille. A l'époque, il se voyait déjà l'emmener à la piscine ou au ski. Il était vite redescendu sur terre lorsqu'il se retrouva sans rien. Erwan tenta de se reprendre en main, d'éviter la plaie encore douloureuse, et se concentra sur autre chose.  « Des jumeaux ? » fit-il avec un petit sourire hésitant. « Filles ou garçons ? T'es à combien de mois ? Tu as tout ce qu'il te faut pour eux ? Si tu as besoin, je... ? » Il s'emballait, une fois de plus, mais au moins cette fois-ci, il savait à peu près ce qu'il faisait. Lui qui avait une chance inouïe depuis quelques mois, lui qui ne comptait pas disparaître comme un gamin de 21 ans sans aucuns projets, sans aucuns moyens de se soutenir lui-même ou de promettre quoique ce soit aux autres. Non, il avait gagné un peu de responsabilité entre temps.

« Tes parents sont des cons … » elle lui dit, et il ne répondit pas. Une part de lui en avait conscience, l'autre se disait qu'il avait eu ce qu'il méritait pour avoir fantasmé pendant des années sur son ami d'enfance, pour avoir écrit toutes ces chansons à propos d'Orel. S'il avait été normal, rien de tout ça ne serait arrivé. « Et toi aussi tu l’es ! Jusqu’à preuve du contraire, tu savais où j’habitais ! Tu aurais très bien pu venir chez moi. Je t’aurais hébergé et tu le sais ! » Il haussa les épaules, le regard baissé vers les escaliers sur lesquels il se tenait. Bien sûr qu'il avait été con, qu'il s'en voulait, qu'il voudrait bien revenir en arrière pour s'empêcher de faire de telles conneries. Alors oui, il regrettait de s'être enfuit, de ne pas avoir réfléchis et d'être parti comme une imbécile se jeter dans la gueule du loup, s'attirer lui-même des problèmes qu'il était incapable de surpasser. Alors là, à se prendre en pleine face toute la vérité, il ne put que se mordre la lèvre nerveusement et ne rien ajouter. Il n'avait pas d'excuse, il ne savait pas quoi dire. Sa vie aurait été totalement différente s'il n'était pas parti pour Los Angeles. Il ne serait pas la même personne aujourd'hui. Quel con. Il tenta de mettre fin à cette conversation en déviant le sujet vers le ventre d'Aloysia. Elle attendait non pas un mais deux enfants, et ça lui rappelait encore plus ce qui s'était passé quatre ans plus tôt, comme si le destin s'acharnait à lui rappeler ses erreurs. Il lui posa des questions, le sourire aux lèvres, clairement intéressé, voulant se rattraper à tout prix.

« Si j’ai besoin, je te demande, c’est ça ?! C’est l’hôpital qui se fout de la charité là… J’ai besoin de rien venant de toi Erwan ! Quand j’ai eu besoin de toi, tu n’étais pas là, alors aujourd’hui que ce n’est pas le cas, je ne vais pas prendre le risque que tu te foutes à nouveau de moi ! Je sais que je suis horrible de te dire tout ça parce que ce n’était pas une période facile pour toi, mais… j’étais sur le point de le garder cet enfant quand tu es parti ! » Il n'était pas choqué à proprement dire, les paroles et le ton d'Aloysia ne l'avaient pas paralysé. Non, il gardait simplement la tête baissée, n'osant simplement pas la regarder de peur qu'elle le frappe ou qu'il lui arrive quelque chose de totalement inattendu. Il se recroquevilla légèrement sur lui-même en l'écoutant parler, comme pour se protéger. Elle avait raison, il le savait, mais il avait tout à coup l'impression d'être au bord de la crise de panique, parce qu'Aloysia avait été son amie et elle semblait le détester plus qu'autre chose, et il ne supporterait pas de la perdre juste là, comme ça, après une engueulade. Il étouffa le premier sanglot comme il le put, s'en voulant d'être aussi sensible, aussi faible. Erwan essuya rapidement les larmes de ses joues, tout en gardant le regard rivés sur le sol, refusant de lever la tête. De nouvelles larmes remplacèrent vite celles qu'il venait d'effacer d'une main tremblante. « Je suis vraiment désolé » fit-il d'une toute petite voix, presqu'un couinement. Il était pitoyable. Il aurait bien aimé avoir un mouchoir dans l'une de ses poches pour essuyer la morves qui dégoulinait sous son nez, mais bien entendu il n'avait pas pensé à ça. Il n'avait pas imaginé qu'il finirait dans cet état, et pourtant il aurait pu prévoir, vu sa capacité émotionnelle à s'effondrer pour rien. Vexé contre lui-même, embarrassé, gêné... il s'excusa encore. « Je suis désolé Aloysia » Erwan fit un micro pas en arrière, amenant une main à son nez humide et réalisant sa stupidité au moment ou ses doigts eux aussi se retrouvèrent couverts de liquide bien dégoutant. Tout à coup, il avait encore plus envie de chialer.

Erwan ne savait plus où se mettre, vraiment, c'était ridicule. Il avait tellement honte, et en plus il était en faute pour le coup, alors vraiment, il n'avait pas de raison de fondre en larmes. « C’est bon…c’est moi qui suis désolé, je voulais pas te blesser. » lui dit Aloysia, après que son visage ait perdu de sa colère. Il aurait aimé lui dire que si, elle devait s'énerver, elle devait continuer parce qu'il le méritait. Elle posa sa main sur son avant-bras, et il se raidit instantanément au contact, ses yeux se levant rapidement vers ceux de la jeune femme. « Je me doute que tu as énormément souffert et que tu n’es pas parti sans raison, c’est jusque que… j’avais besoin de toi… tu m’avais fait un promesse et tu as disparu… » Et oui, il comprenait, il comprenait vraiment. Il aurait voulu lui dire qu'elle avait le droit d'être en colère, et qu'il lui laisserait du temps. Qu'il partirait, là maintenant, et qu'il reviendrait la voir une semaine plus tard. Comme si c'était une punition, une façon pour lui de payer pour ce qu'il a fait. Mais il était un peu égoïste, Erwan, ou du moins pas assez désintéressé pour faire ça. Il ne pensait pas pouvoir subir ça, la quitter là et savoir qu'elle lui en voulait. Que quand elle pensait à lui, elle revenait sans cesse au fait qu'il avait été l'ami qui l'abandonna. Alors non, il devait rester et régler ça, apaiser les brûlures.

« J'étais un gamin idiot et pourri gâté qui ne savait rien de la vie, j'ai été arrogant et j'ai cru que c'était le moment de tout plaquer, de partir... » Il lui arrivait de voir les choses sous cet angle. Une terrible envie de liberté, un trop plein d'audace. Plutôt que le gosse perdu et désespéré qu'il était. Complètement paniqué et se retrouvant sans rien du jour au lendemain. C'était peut-être plus facile vu comme ça, comme si ça avait été un choix. « Maintenant je suis grand. J'ai un travail et une vie ici. Un appart' et des thunes, alors si je peux faire quoique ce soit pour toi, tu peux avoir confiance. Je compte pas disparaître encore, pas après ce qui s'est passé là-bas » il avoua, sachant très bien qu'il lui devait ça, une petite part de vérité. Il ne donnait pas de détails, juste ça, c'était suffisant. « Enfin bref. » Erwan ne parlerait pas de Los Angeles, il n'en avait pas parlé depuis qu'il s'en était échappé. Il fouilla ses poches et trouva un vieux mouchoir usé, et il l'utilisa pour se nettoyer rapidement, effaçant au mieux les traces de sa honte.