23 Septembre 1999. J’avais cinq ans. Une date gravée dans ma mémoire, une date que je n’oublierai jamais. Tout comme ton regard quand tu t’es mise à ma hauteur pour me dire que tu partais.
- Et tu reviens quand maman, dis ?
- Je ne reviens pas, Kallen. Maman doit partir. Mais t’es un grand garçon, pas vrai ?
T’ébouriffes mes cheveux, tu souris mais il n’y a rien de chaleureux. Tu souris des lèvres, mais pas des yeux. J‘étais trop petit pour comprendre. Trop jeune pour me rendre compte. Du doigt, je pointe l’homme derrière toi. J’interroge papa du regard.
- Et c’est qui lui ? Pourquoi tu pars ? Pourquoi papa et moi on vient pas avec toi ?
Beaucoup de questions dans la bouche d’un si petit garçon. Autant d’incompréhensions. Pourquoi maman fait ses bagages sans nous ? Pourquoi papa fait cette tête ? Pourquoi il dit rien ? Où est-ce que tu vas ?
- Tu restes avec papa, d’accord ? Il s’occupera bien de toi.
Je tends les bras vers toi, je sens l’eau envahir mes yeux clairs, si différents des tiens. Je ne comprends pas pourquoi tu dois t’en aller. Pourquoi tu réponds pas à mes questions ? Je comprends pas. J’aime pas quand j’comprends pas.
- Pars pas avec lui, reste avec nous. On doit jamais partir avec des inconnus t’as dit. On t’aime, hein papa c’est vrai ?
- T’es grand Kallen, les grands garçons ne pleurent pas. Sois sage.
Tu ne m’as pas pris contre toi. Tu m’as tourné le dos, attrapé la main de l’homme à tes côtés, et t’es partie. Sans te retourner. Je suis resté les bras tendus dans le vide. C’est tout ce que t’es, du vide. C’est ce que t’as toujours été.
T’as rencontré mon père quand t’as quitté ton Amérique natale pour venir étudier en Grèce. T’as toujours été fascinée par les voyages, par l’horizon qui s’étalait loin de tes fenêtres floridiennes. T’as saisis la première occasion qui se présentait. T’avais pas prévu de rencontrer mon père. Ca a été un vrai coup de foudre entre vous. Il est immédiatement tombé sous le charme américain qui se mêlait à tes origines siciliennes. Tu avais cette fougue, ces désirs de liberté, ces rêves plein la tête, qui l’ont fait craquer. Le temps faisant son œuvre, vous vous êtes installés ensemble, vous avez commencé à construire des choses tous les deux. Puis je suis arrivé. Mais je ne faisais pas partie du plan. De ton plan. Et le problème, c’est que je faisais tellement pas partie du plan, que tu as fait un déni de grossesse. C’était déjà trop tard quand tu l’as su. Trop tard, sinon tu aurais avorté, sans en parler à mon père.
Le jour de ma naissance est arrivé, ce premier juillet qui a définitivement gâché ta vie. Ma petite tête sortie, mon petit corps posé sur le tien. Mon regard couleur océan qui te découvre. Ton regard de braise qui me toise. Aucun sentiment. Aucune émotion. Pour tout dire, tu t’es sentie libérée. Les infirmières t’ont dit que c’était normal, que c’était courant, qu’il te faudrait un petit temps d’adaptation. Mais c’est jamais arrivé.
Les premiers jours, t’as essayé, sans grande conviction. Mon père te regardait, légèrement inquiet, lui qui prenait tant de plaisir dans son nouveau rôle. Puis je pense qu’il s’est fait une raison. Finalement, tu n’étais pas si parfaite que ça. Ses rêves de petite famille épanouie s’effondraient. Mais il t’aimait. De tout son être. Alors il a fait son possible pour que tu sois à l’aise avec moi. Est-ce que tu réalises l’absurdité de cette phrase ? Est-ce que tu te rends compte de ce que tu lui as fait vivre ?
Tu t’occupais de moi, ouais. Parce que t’avais pas vraiment le choix. Papa travaillait, et moi, moi je suis devenu ton geôlier. Celui qui te maintenait cloîtrée à la maison, qui te privait de tes libertés. Dès que tu pouvais éviter de me toucher, tu le faisais. Tu me refilais à mon père. Il t’est arrivé de me faire des câlins, quand j’étais un peu plus grand. Après une mauvaise chute, quand je pleurais parce que j’avais mal. Mais c’était pas naturel. C’était maladroit. Bancal. Presque froid. Malgré tout, je t’aimais inconditionnellement. Parce que pour moi, c’était normal. Parce que j’avais jamais connu autre chose et que je pensais que c’était pareil pour les autres. Parce que t’étais ma mère. J’étais con. Mais j’étais qu’un gosse. Est-ce que c’était moi le problème, maman ? Si t’avais eu un autre enfant à ma place, est-ce t’aurais agis de la même façon ?
Je grandissais, tu t’échappais. De plus en plus souvent, de plus en plus longtemps. C’est ma grand-mère qui a pris la relève. Ta relation avec papa s’est dégradée à toute vitesse. Vous étiez moins complices, moins proches. Je crois que tu lui en voulais. Parce qu’en plus de t’avoir fait un enfant dont tu ne voulais pas, j’étais déjà son portrait craché. Je n’avais rien de toi. Comme si ton corps avait fait obstacle au partage de ton ADN avec moi. Et ça a accentué le fossé entre nous. Papa comprenait ton besoin de liberté, il comprenait moins que tu sois si détachée de moi. Puis t’as lancé une bombe. T’as voulu rentrer chez toi, rentrer à Miami. Ton univers, celui que tu avais fuis, celui qui t’ennuyait, te manquait. J’avais quatre ans. Pour tenter de recoller les morceaux, de sauver ce qu’il restait de vous, il a accepté. Il a tout quitté pour toi. Son boulot, sa famille, son île natale. J’ai dû apprendre à parler anglais parce que tu t’étais jamais donné la peine de partager ta culture avec moi, et la seule langue que je connaissais, c’était le grec. J’étais complètement déboussolé, j’ai perdu tous mes repères. Mais la tentative de mon père a été un échec.
T’as rencontré un type, à ton nouveau job là-bas. Un mec pété de thunes, un voyageur dans l’âme, comme toi. Tu le voyais en cachette. Ca a duré plusieurs mois, avant que papa finisse par le découvrir, en te surprenant à la terrasse de ce foutu café. Toi, sirotant ta grenadine, toutes tes dents dehors dans un sourire éclatant. Un putain de sourire que nous, on voyait jamais à la maison. Le pire, c’est que son chagrin l’a emporté sur la colère. Et que t’as même pas eu une once de remord. T’as dit que vous étiez trop différents au final. Que vous aviez des envies différentes. Que tu sombrais à vitesse grand V dans notre quotidien bien trop fade pour tes exigences haut-de-gamme. Tu lui as brisé le coeur. J’étais trop petit pour comprendre, pour saisir la force des choses. Pour réaliser que tu quittais mon père, le prétendu homme de ta vie, pour un connard prétentieux qui allait te faire voir le monde. Mais dis-moi, une fois qu’il aura réalisé ton rêve, lui aussi tu vas le larguer dans les règles de l’art comme le monstre que tu es ? Ouais, t’es un putain de monstre. T’as pas arrêté de répéter que j’étais un grand garçon, ce fameux vingt-trois septembre. Mais bordel, j’avais seulement cinq ans ! Cinq ans !! Quelques semaines après la découverte de papa, tu nous laissais en plan dans l’entrée de notre maison, pour partir à la conquête du monde avec ton salvateur. Parce que c’était comme ça que tu le voyais. Comme si les monstres, c’était nous, qu’on te maintenait prisonnière comme un oiseau en cage. Mais c’est bien toi, le monstre, maman. Et quand je t’appelle comme ça, ce mot sonne dans ma bouche comme la pire des insultes.
Après ton départ, papa a essayé tant bien que mal de relever la tête, pour moi, pour lui, pour nous. La vérité, c’est qu’il avait perdu l’amour de sa vie, et qu’en partant, c’est la moitié de son âme que t’as déchirée pour l’emporter avec toi. Drôlement ironique quand on sait que t’en voulais plus. T’en avais rien à foutre de savoir que tu nous avais brisés. Tu pensais qu’à toi. T’as toujours pensé qu’à toi. Il a sombré dans l’alcool. D’un verre le soir en rentrant, pour se réconforter, c’est passé à une bouteille par jour. Je crois qu’il s’est tenu le temps que je grandisse un peu, parce qu’il savait que j’avais un minimum de besoins. Mais je devais avoir sept ans quand je l’ai trouvé pour la première fois déchiré sur le canapé en rentrant de l’école à 16h30. Puis c’est devenu régulier. Parce que le fait de m’avoir abandonné n’était pas assez destructeur à mon égard, tu as pris soin de me léguer tout le package avec, pour me faire tomber encore plus bas. J’ai grandis ouais. Je rentrais de l’école chaque soir, et la première chose que je faisais, c’était vérifier si mon père était toujours vivant. J’ai été livré à moi-même assez tôt. Parce que je devais prendre les choses en mains, ce qu’il délaissait peu à peu, à savoir les repas, la liste des courses, entre autres. Le problème, c’est que bien vite, il a commencé à me porter responsable de ton départ. Lui qui m’avait toujours aimé, il a commencé à m’en vouloir. Parce qu’il a réalisé, à juste titre, que c’était ma venue au monde qui avait fait tout exploser. Mais j’avais rien demandé, moi. Même à travers ton absence, tu me faisais payer le jour de ma naissance. Une fois que j’ai eu l’âge de comprendre, il m’a expliqué ce que t’avais fait, pourquoi t’étais plus là. Et c’est comme si l’engrenage se remettait brutalement à fonctionner, comme si toutes les pièces du puzzle que j’avais à ma disposition depuis toutes ces années trouvaient enfin leur place. Tu m’as jamais aimé. Et l’amour que t’as eu pour mon père était aussi éphémère qu’une pluie au milieu du désert. Beau, intense, mais limité dans le temps. La haine naît du manque d'amour. La haine, plus forte que l'indifférence, a commencé à se glisser dans mes veines. Et elle ne m'a plus quitté.
Le fossé a commencé à se creuser entre mon père et moi. L’adolescence m’a permis des instants de liberté, où je pouvais souffler hors du foyer. Je m’échappais même par la fenêtre de ma chambre parfois. Mon amour pour la musique est véritablement né à cette période. Et pendant ce temps là, il se nourrissait d’alcool, tombait dans la déchéance, me hurlait dessus parce qu’il se sentait seul, parce qu’il se noyait dans les souvenirs de vous deux. J’étais le fauteur de trouble, le responsable de son chagrin, l’incarnation de sa rupture. Quand j’y repense, je me dis que c’est pour ça que tu t’es jamais mariée avec lui. Ca aurait été une chaîne de plus, pas vrai ? T’as réussi à détruire la relation que j’avais avec lui. Parce qu’il a fini par m’en faire baver, lui aussi. On s’est même battus, une fois ou deux. Et que dès que j’ai atteint la majorité, grâce à l’argent que ma grand-mère m’envoyait régulièrement, je me suis barré. Nan, j’ai pas fait comme toi. Moi, je vivais vraiment un calvaire, et depuis des années. J’ai pris un appartement, et après une énième confrontation avec papa, j’ai décidé de ne plus croiser sa route. Toi, t’as pas pointé le bout de ton nez, pendant toutes ses années.
Ma scolarité n’a jamais été brillante. En cours, je suis loin d’être sérieux. J’accumule les visites chez le chancelier, comme j’accumulais celle chez le proviseur, au lycée. Je suis un vrai perturbateur, toujours au dernier rang. J’étais seulement intéressé par la littérature, et c’est toujours le cas aujourd’hui. C’est mon grand secret. Un de plus. Parce que ça casserait mon image de mec rebelle. Il faut dire, j’ai un sacré problème avec l’autorité. Simple conséquence logique de mon enfance où je me suis plus ou moins construit tout seul. Je passe mon temps à composer des chansons, à jouer dans un bar de la ville avec mon groupe, composé de mes meilleurs amis.
Eclipse. C’est ça notre nom. Parce que j’ai toujours été fasciné par la lune, depuis tout gamin. Et qu’avec mon père, quand j’étais petit, on passait des heures entières à regarder les étoiles. Je chante, je joue de la guitare. Ouais, j’ai du talent. Ca t’en bouche un coin, hein ? Je sais que c’est pas le cas, mais si jamais tu venais à te questionner sur ma relation avec les filles, sache que jusque là tu as laissé ta sale empreinte. Les nanas, elles sont bonnes qu’à être baisées. On peut pas leur faire confiance. Faut pas s’attacher à elles, parce que vous êtes des manipulatrices. Des briseuses de coeur, des égoïstes. Vous êtes prêtes à nous marcher dessus pour avoir ce que vous voulez. Vous êtes des monstres. L'amour, c'est pas pour moi. C'est de la poudre aux yeux, pour mieux nous atteindre. C'est des apparences, du bidon. Tu sais ce que je leur fais, à ces filles ? Je les charme, avec mon beau regard, celui que tu détestes tant, avec ma voix éraillée, mon accent qui les fait rêver d’ailleurs. Je les manipule, je leur dis ce qu’elles veulent entendre. Je m’envoie en l’air avec elles, et puis je les jette. Un soir, pas plus. Parce que c’est tout ce que vous méritez. Ouais, ton fils est devenu un gros connard. Et il en est fier.
Mais toi, t’es qu’une garce, maman. Sache que je suis vraiment un grand garçon aujourd’hui, ouais. Et que ma haine envers toi a grandit avec moi. Crois-moi, vaut mieux pas que nos routes se croisent. Parce que j’te jure que tu reconnaîtrais pas ce petit gosse aux yeux océan que t’as lâchement abandonné sur le pas de la porte, y’a dix-sept ans. Tu me connais pas. Tu sais pas qui je suis. Tout c’que t’as fait, c’est me mettre au monde. Et moi, ton monde à toi, j’compte bien le détruire comme t’as brisé le mien.
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