C'était une soirée un peu originale, hors du commun, et tout un tas de clients étaient attendus au club, dans la soi-disant salle de spectacle. Une sorte de petit théâtre avec une scène et plusieurs rangs de chaises et de tables où lors de soirées telles que celle-ci, les clients traînaient, buvaient, mangeaient, en regardant ce qui se passait. Le Birdcage prenait alors des allures de cabaret, ou de club de strip, et évidemment, le tout finissait dans les chambres à l'étage. Et vu tout le monde attendu ce soir, Erwan n'allait pas passer une soirée comme les autres. Il s'était douché, préparé, et en suivant le dress-code demandé, il avait revêtu un t-shirt fin, un slim noir, des bottines et un pull, et voilà déjà qu'on le guidait à travers les couloirs en direction de la salle. Il savait à peu près ce qui allait se passer, que les employés les plus demandés offriraient un petit show aux clients, et seraient donnés pour la nuit au plus offrant. Un bon moyen pour la maison pour se faire quelques milliers en une nuit. Erwan ne pensait rien de spécial au sujet de tout ça, et en se faisant guider vers les coulisses, il essayait de s'encourager et de se motiver pour être performant et plaire, histoire que les enchères aillent loin. Et voilà, il voyait par la fente entre les rideaux le jeune homme qui le précédait quitter la scène par l'autre côté, et les enchères prendre place. Lorsque tout fut réglé et que le client fut invité à monter dans la chambre rejoindre le jeune homme, Erwan fut doucement poussé en avant, signe que c'était à lui. Alors, il sortit et se retrouva sous des lumières légèrement agressives, face à une masse immense d'hommes. La voix du boss résonnait dans ses oreilles, tandis qu'il se trouvait à quelques mètres de lui et le présentait, donnant son prénom et faisant sa publicité. Ce qui sortait de sa bouche n'était pas très intéressant pour Erwan, et il préférait ne pas écouter, au risque d'en rougir. Lorsque ce fut le moment, il retira lentement ses vêtements, commençant par ses chaussures, son pull, puis son t-shirt et son jean, lentement, le regard vers le public, jusqu'à se retrouver en string. De la dentelle rouge qu'on avait choisie pour lui. Invité à faire un tour sur lui-même, il s'exécuta, pour que les clients puissent voir la marchandise. Le boss se tenait près de lui, commentant l'action, glissant parfois sa main sur son torse de façon suggestive, et mettant une petite tape sur sa fesse gauche pour faire signe à Erwan de se diriger vers les coulisses. A peine eut-il passé le rideau qu'il entendit les enchères commencer, une première voix lançant une somme, suivie d'autres... Il fut emmené à l'étage à nouveau avant d'en entendre plus et monta docilement sans broncher, pour se retrouver à nouveau dans sa chambre où il devrait attendre son client. Il s'allongea lentement sur le lit, comme il l'était demandé dans ces situations, et le garde qui l'avait accompagné toute la soirée se chargea de passer les menottes à ses poignets, ainsi qu'à ses chevilles, reliant ses pieds et ses mains aux quatre coins du lit. Le trousseau de clés fut laissé en évidence sur la table de chevet, et Erwan se retrouva seul, à attendre son client, celui qui aurait donné la plus grande somme pour passer quelques heures avec lui. De là, couché ainsi en petite tenue, il ne voyait même pas la porte, et lorsqu'il l'entendit s'ouvrir, il retint un peu son souffle. Un bref échange avec le garde, qu'il n'entendit pas vraiment, et la porte se referma. Il n'était plus seul et la nuit allait commencer.

Il était là... sans être vraiment là. Dans sa petite bulle, si bien qu'il laissait la réalité lui passer dessus, lui glisser sur le corps, et il suivait le mouvement bien sagement mais sans se laisser trop atteindre. Il était planqué quelque part à l'intérieur de lui-même, bien au fond de sa petite tête, et ça rendait tout tellement plus facile. De tout ça, il ne pensait rien de particulier. Il avait déjà vécu des nuits de ce genre et il en vivrait encore, ça changeait de ses habitudes... S'exhiber sur une scène devant des gens aux regards pervers, ça ne le faisait plus rougir, plus autant qu'avant. Il faut dire que la nudité faisait partie de son quotidien désormais. Malgré tout, il gardait un côté un peu timide, et il savait aussi que c'était ce qui faisait son succès, que même ce soir, ce côté-là de lui affamait encore plus les clients. Il fut ensuite emmené dans sa chambre et préparé, sachant très bien que pendant ce temps, les enchères étaient en train de se faire, et s'en foutant complètement. Il n'avait aucun pouvoir là-dessus, et à peu de choses près, le résultat serait le même. Il allait passer sa nuit avec quelqu'un, un homme, et peu importe qui cet homme allait être. Quand le client entra, Erwan ne put voir son visage. Il était attaché au lit et se redresser était impossible. « S'il te plait, rhabilles toi... » La voix qui brisa le silence fut un choc monstrueux pour Erwan, et dès qu'il l'eut entendue, son expression changea. Peut-être qu'il devenait dingue, ou qu'il confondait... mais la demande de cette voix n'était pas celle d'un client normal. Et Eggsy apparut dans son champ de vision, il s'était certainement avancé vers le lit. Erwan le fixa un instant, choqué, ne s'attendant nullement à le voir ici. Puis lentement, il se remit de sa surprise et se sentit un peu gêné, d'autant plus qu'Eggsy lui ne cessait de détourner le regard. Il devait l'être aussi. « Détache moi s'il te plait... c'est le trousseau de clés sur la table de nuit... » il souffla doucement, avant que de nombreuses pensées viennent encore se bousculer dans sa tête. Eggsy n'avait rien à faire là, il ne devait même pas avoir connaissance de l'existence du Birdcage, ni de la présence de son aîné dans cet établissement, et le client d'Erwan allait arriver... « Qu'est-ce que tu fais là ? Comment t'es arrivé ici... tu peux pas être ici... » il questionna, avec une légère panique qui se pointait, quand il pensait à son frère ici et à comment il avait pu arriver dans sa chambre. Lorsqu'il fut libre, il se redressa et resta assis ainsi quelques secondes, sous le choc, avant de prendre la robe de chambre abandonnée sur le fauteuil et d'enfiler celle-ci.

Son frère était ici. Avant de se poser mille questions, Erwan était surtout dans un état de choc, car il ne s'était pas attendu à ça. Pas du tout. C'était gênant, il était dénudé et dans cette petite tenue tellement suggestive, menotté à ce lit comme un bout de viande présenté ainsi pour être dévorré, et Eggsy était là. Son petit frère venait de le voir ainsi, dans cet état là. C'était terrible. Il sentait bien qu'Eggsy était déçu, qu'après tout ça, c'était horrible pour lui de voir qu'Erwan menait cette vie-là. Il était un peu paniqué à vrai dire, il ne comprenait pas comment Eggsy avait pu monter, avait pu trouver cette chambre, y entrer, le trouver là. « Qu'est ce que je fais là ?! C'est plutôt à moi de te poser la question ! » A vrai dire, non, Erwan était là parce qu'il travaillait ici, sa présence était bien plus normale que celle de son petit frère. Il ne voulait pas de lui ici, dans cet endroit macabre et sale, il avait trop peur que si son frère y restait une seconde de trop, ça imprimerait quelque chose en lui, ça le changerait, ça le salirait... Il ne répondit rien, parce qu'il comprenait aussi que découvrir ça, ça ne devait pas être facile pour Eggsy. Qu'il réalisait présentement qu'Erwan lui avait menti, et de ça, il était honteux. Il se retrouva libre de ses mouvements et se précipita sur la robe de chambre en satin qui se trouvait près de là pour l'enfiler. « Je crois que j'ai bien droit à des explications. Et ne me dis surtout pas que ce n'est pas ce que je crois ! » Erwan baissa le regard, il comprenait évidemment la réaction d'Eggsy, mais en réalité il pensait aussi un peu ne pas avoir de compte à lui rendre, et il n'estimait pas cela très juste de se faire parler ainsi, comme à un enfant, comme si son petit frère était responsable de lui. « Je suis désolé de t'avoir menti. C'est juste que... je savais que tu comprendrais pas » il répondit doucement, ne se décourageant pas, ne cherchant pas à dissimuler ses vraies pensées en acceptant simplement les critiques, timidement. « Voilà, c'est ici que je travaille et que j'habite » il ajouta en regardant un peu autour de lui, comme pour présenter la chambre à son frère. Il se mordit la lèvre, gêné, attendant juste les reproches. « Je sais pas quoi te dire » souffla Erwan. « Mon client va bientôt arriver, je sais pas comment t'es arrivé ici mais tu peux pas rester... » il reprit, un peu paniqué, ne voulant surtout pas qu'Eggsy ait des ennuis.

C'était extrêmement gênant, mais c'était la réalité et maintenant il fallait faire face à ça. Le regard de son frère sur lui, désormais, alors qu'il savait ce que faisait Erwan. Et puis, il dut aussi prendre sur lui, pour ne pas s'énerver, ne pas se braquer. Eggsy lui faisait des leçons de morale, il lui demandait des explications, mais pendant tout ce temps, Erwan avait été laissé seul et soudain il devait rendre des comptes ? Il n'aurait jamais reproché à Eggsy son absence, son manque de soutien, tout le reste et ces choses dont ils avaient déjà parlé. Mais maintenant, il se disait que peut-être il était en droit de lui en vouloir. « … « Je ne comprendrais pas ».... j'ai l'air si débile que ça ?! » Non, et ce n'était pas du tout ce que sous-entendait Erwan. Cependant, il était certain qu'effectivement Eggsy ne comprendrait pas. Il ne pouvait pas lui parler de ça, lui expliquer pourquoi il était là, parce que ses raisons n'étaient pas normales, elles n'étaient pas sensées pour quelqu'un d'autre. Au lieu de répondre, il l'informa de l'arrivée imminente de son client. « Mais t'as pas encore compris ?! C'est moi ton client... Ca fait une semaine que je te suis et... j'arrive pas y croire ! Comment j'ai pu être aussi stupide face à tous tes mensonges ?! Je... pensais que tu pouvais me faire confiance... que tu me dirais tout ! Y compris tes problèmes d'argent ! Je pouvais t'aider Erwan ! Tu aurais pu m'en parler ! » Ca faisait beaucoup d'informations tout à coup. Eggsy était son client ? Alors, il avait donc vu, il avait été là dans la salle. Ca remplissait Erwan d'une honte nouvelle. Il ne disait rien, trop heurté par la colère de son frère, parce que soudain il lui reprochait tout un tas de choses. Quant à l'argent, ce n'était nullement le problème. « Je suis désolée Erwan... c'est juste que cette situation me révolte. Vendre son corps, c'est... c'est pas humain, merde ! » Et là, ça faisait mal, car jamais il n'aura pensé entendre quelque chose d'aussi horrible sortir de la bouche de son frère. « Je t'emmerde ! » il cria sans réfléchir, profondément blessé, essuyant une larme qui s'était mise à couler. « Laisse moi tranquille, j'ai pas besoin de ton argent ou de tes jugements ! » poursuivit-il. La dernière chose qu'il voulait, c'était se disputer avec Eggsy, lui crier dessus, lui dire des choses qu'il ne pensait pas et qu'il allait regretter. Mais les mots de son frère ne l'avaient pas laissé indifférent. Il avait su dès le début que si son frère apprenait ce qu'il faisait vraiment, ça allait créer des problèmes. Il avait su qu'il ne pourrait pas comprendre. Il se calma un peu, laissant sa colère retomber. « Désolé de te décevoir... mais c'est mon choix tout ça, même si... "c'est pas humain" » il dit encore, étant réellement désolé, mais tristement marqué par cette phrase qu'avait prononcée Eggsy. Il était vidé, avait simplement envie d'être seul.

Il aurait voulu être moins sensible que ça, il aurait voulu être plus solide et plus capable de masquer ses sentiments, comme tant de gens semblaient l'être. Il se détestait d'être à fleur de peau, d'être émotif à ce point simplement parce que les jugements de son frère le blessaient. Voilà qu'une larme de colère et de tristesse coulait au coin de son oeil, et qu'il criait à son frère de brèves vulgarités. Ce n'était pas l'image qu'on avait de lui, mais ça ne le surprenait pas du tout lui-même, d'être capable de ça. Il était comme le reste du monde, c'était juste rare qu'on le pousse aussi loin, qu'on le blesse de cette façon là. Il avait l'habitude de se prendre des coups, mais venant de son frère, il ne s'y était pas du tout attendu, et voilà pourquoi la douleur était là, à ce point. « Je ne te juge pas... Tu avais tes raisons mais maintenant, c'est fini. Ca doit finir en tout cas. C'est pas une vie !! » Eggsy faisait référence à son passé, à son histoire avec Leo et à ce qu'il lui avait brièvement raconté. Il ne savait rien du tout, ni au sujet du passé d'Erwan, ni à propos de son présent. Ca l'énervait encore davantage que son frère ait l'audace de s'imaginer qu'il pouvait tout savoir et avoir un avis sur ces choses-là. Il disait peut-être ne pas juger, mais pourtant c'était très clairement ce qu'il faisait, et Erwan était blessé d'entendre tout ça, de voir que son frère considérait sa vie comme quelque chose de raté. Il s'efforçait tant de faire ce qu'il y avait de mieux, de prendre les bonnes décisions. Ca ne pouvait visiblement pas plaire à tout le monde. « Ton choix ?! Mais comment tu peux choisir de faire ça ?! Tu... c'est par plaisir ?! T'es un genre de nymphomane au masculin ?! » C'était horrible, il avait l'impression que son frère était venu l'envahir, il avait l'impression qu'il creusait en lui, qu'il fouillait dans sa tête et son coeur. L'impression d'être entièrement nu et observé. Il voulait se cacher, absolument. Il resserra les pans de sa robe de chambre autour de son corps et alla s'asseoir en boule sur le lit, genoux repliés et encerclés par ses bras, enfouissant sa tête entre ceux-ci. « Non » il dit doucement, la voix brisée. Il se sentait tellement triste tout à coup, et des sanglots silencieux vinrent prendre possession de lui. Il aimait son frère, énormément, mais là il aurait juste voulu qu'Eggsy s'en aille, il voulait juste être seul. « Je peux pas l'expliquer, c'est trop... » il dit, sans trouver le mot qu'il cherchait. « C'est ma vie et c'est cette personne que je suis, je suis désolé que tu puisses pas m'aimer comme ça, je suis désolé je fais de mon mieux » il dit, le visage toujours baissé. Il était pitoyable, le savait très bien, et il se détestait de ne pas être capable d'être un frère à la hauteur des espérances d'Eggsy. « M'abandonne pas s'il te plait, je t'aime » il supplia finalement, parce que se prendre des jugements et des réflexions, ça faisait mal, mais il serait capable de tout endurer si au moins Eggsy acceptait de rester son frère, et de ne pas le renier comme l'avait fait le reste de sa famille.