Putain de journée. Putain de vie. Je suis revenue à Miami. Je pensais pas que ce serait aussi compliqué. Mais apparemment j’ai pas le choix que d’avoir une vie compliqué. Je suis venu ici pour amener ma mère à ses rendez-vous. Je passe pas assez de temps avec elle et même si je n’ai pas le droit de l’accompagné à son rendez-vous psy et à sa rééducation... beh je reste là. Mais je m’attendais pas à revoir Erwan. Je m’attendais pas à recevoir une telle claque dans la gueule. A entendre ce que j’ai entendu. Je m’attendais à tout sauf à ça. J’ai toujours envie de hurler... de pleurer. Je suis carrément pâle ça j’en suis sûr. Mais je me contiens car je sais qu’il n’est pas loin. Mais je ne peux empêcher mes mains de trembler alors que je suis assis le cul sur ce banc. Alors que je regarde dans la vie en ayant mes avants bras appuyé sur mes genoux. Je fume ma cigarette en fermant les yeux et je ne me rend même pas compte tout de suite qu’Erwan m’a rejoins dehors. Quand je sens alors son odeur si familière, si rassurante. J’ouvre les yeux sans tourner le visage, mon regard s’échappant simplement sur le côté alors qu’il s’assois à mes côtés. Je retiens ma respiration.



J’écrase ma cigarette... je crois bien qu’il aime pas trop ça. Puis voilà que je m’adosse au banc quand sa tête se pose sur mon épaule. Je ne contrôle pas ce frisson qui parcours mon corps ni mon cœur qui se serre dans ma poitrine. Je n’ose même pas bouger de peur que ce simple contact il ressente cette tension. Je n’ai pas envie de dire un mot de peur qu’il ne m’échappe de nouveau. Voilà qu’il prend la parole et je trésaille... trois... serait-il tombé amoureux durant mon absence.. Il a raison. Après tout je suis parti. Mais parle-t-il de lui ou de moi lorsqu’il parle de quitté. Non car c’est moi qui suis parti. Je veux pas rebondir la dessus. Je préfère rester dans le silence, je le laisse aller à son rythme. J’ai pas envie de le brusquer. Puis il continue et je l’écoute simplement. Je continue à regarder devant moi en lui jetant des coups d’oeil en coin. Je profite de cet instant car je sais qu’il prendra bientôt fin. Ma mère ne va pas rester éternellement à son rendez-vous. Je ne sais pas si elle se souviendrait d’Erwan... mais je ne pense pas qu’il aurait envie qu’elle le revoie ainsi. Puis je l’écoute et j’attends un peu. Je ne fais pas attention à ce qu’il se passe autour. Je reste focalisé sur lui. Sur nous... sur cet instant qui restera, je pense, graver dans mon esprit pendant des jours... des semaines... même plus.



Puis je prend enfin la parole, naturellement, après une réflexion que je me suis faites : “Je prendrais bien un chien...” je me dis que ça pourrait pas être si mal : “Mais je sais pas si j’aurais le temps de m’en occuper... mais ça ferait de la compagnie à ma mère... vu que j’suis souvent absent” je soupire un peu et je baisse les yeux. Je vois sa main. J’ai envie de la prendre et lui caresser le dos pour qu’il se sente bien. Ou peut-être pour que moi je me sente bien. Je suis confus. Je me tourne un peu vers lui, sans trop bouger... je ne veux pas qu’il se recule : “et ça te plaît dog-sitter ? Si t’es à l’aise avec les animaux tu pourrais bosser en animalerie ou même en refuge ? C'est un beau métier” je marque une pause et je continue : “Puis si je prends un chien tu pourrais avoir une bonne raison de venir me voir” je dis avec une pointe d’espoir dans la voix et le ton plus léger, plus détendu : “Enfin si tu veux hein. Même sans avoir de chien... tu sais que tu viens quand tu veux” je suis pas très doué avec... la parlote. Mais il le sait. Il sait comment je suis. Il me connaît par cœur... enfin j’espère... car après tout je ne me connaît pas vraiment. Plus vraiment. Mais j’espère en tout cas toujours le connaître lui... malgré tout ce qui nous a séparer et ce qu’il s’est produit.

 

Pando

Il avait suivi Orel à l'extérieur, comme attiré par une force invisible. Erwan s'était retrouvé là, dans ce petit jardin, havre de paix au milieu de bâtiments destinés aux malades et aux blessés. Lentement, il avait rejoint Orel, s'était assis à côté de lui, sur ce banc, et avait posé sa tête contre son bras. Il avait besoin de sentir un peu sa présence, la chaleur de son corps à travers le tissu de ses vêtements, juste comme ça, tendrement. Juste un peu. Erwan était perdu, perdu dans sa propre vie, confus. Il avait l'impression de se retrouver à un carrefour, au croisement d'une centaine de routes, incapable de choisir laquelle emprunter. Il y avait celles qui allaient dans une direction totalement inconnue. Celles qui semblaient retourner vers le passé et l'embarquer une fois de plus vers le malheur. Il y avait Orel juste à côté de lui. Erwan était bien loin de fantasmer une relation, quoique ce soit... C'était du passé, et évidemment, Orel était toujours extrêmement important pour lui, mais leur histoire d'amour était finie. Elle avait pris fin le jour où Erwan lui avait avoué son adultère. Adultère excusable, pardonnable, peut-être, parce que ça n'avait pas été par plaisir, parce qu'Erwan avait réellement été mis face à un choix cornélien, qu'il avait pensé à sauver Orel. Mais il comprenait ce qu'on lui reprochait, il comprenait son erreur. Et une fois de plus, c'était de l'histoire ancienne. Erwan s'était mis à parler, parler peu mais en dire beaucoup. Il ne voulait plus qu'Orel s'inquiète pour lui, ou que quiconque s'inquiète pour lui. Il voulait tracer son petit chemin, par lui-même, prendre de nouvelles responsabilités. Essayer d'aller mieux ? “Je prendrais bien un chien... Mais je sais pas si j’aurais le temps de m’en occuper... mais ça ferait de la compagnie à ma mère... vu que j’suis souvent absent” Oh. Erwan écouta attentivement, et il ne put s'empêcher d'y voir un double sens. Il venait de parler de son job de dog-sitter. Etait-ce une façon détournée de lui proposer un peu de travail ? Mais pourquoi ? Erwan ne savait pas quoi dire, il ne répondit pas. “et ça te plaît dog-sitter ? Si t’es à l’aise avec les animaux tu pourrais bosser en animalerie ou même en refuge ? C'est un beau métier” Il hocha un peu la tête. C'était beaucoup de projets tout ça, Erwan ne savait pas s'il avait la force de se projetter dans l'avenir. Il sourit un peu, sans donner de réponse. Disons que c'était une idée à méditer. “Puis si je prends un chien tu pourrais avoir une bonne raison de venir me voir” Ca, ça le fit rire un peu. Il avait vu juste alors, quelques secondes plus tôt, en se disant que c'était une façon de l'attirer chez lui. Erwan n'avait pas vraiment besoin de ça pour que l'envie de voir Orel lui vienne. Ce que le jeune homme confirma l'instant d'après. “Enfin si tu veux hein. Même sans avoir de chien... tu sais que tu viens quand tu veux” Encore un oui de la tête, sans parole. « Tu m'as manqué » finit-il par lui sortir, tout simplement. Et sans doute que c'était une réponse à tout ce qu'Orel avait pu lui dire jusqu'à présent. Il resta silencieux un moment. Les pensées se multipliaient dans sa tête, il essaya de les chasser pour profiter de ce moment de paix et de vide. « J'ai envie de me laisser porter, de voir où le destin va me mener maintenant. Les grandes décisions, ça a jamais été mon truc » il souffla doucement avec un petit sourire. C'était vrai, par le passé, les choses s'étaient imposées à lui parce que des gens avec une volonté plus forte avaient pris sa vie entre leurs mains. Il ne voulait plus être influençable, il ne voulait plus que quiconque puisse lui laisser penser que la seule solution, la seule voie, était celle que cette personne lui proposait. Il ne voulait plus avoir un Leo, ou un Chris, qui avaient tous les deux, à leur manière, orienté sa vie dans une direction funeste. Assez parlé de lui, assez pensé à lui. Orel avait évoqué sa mère plus tôt. « Ta maman, elle est à Miami ? Avec toi ? » il demanda doucement.

 

Pando

  Le temps a fait son office. Il y a de cela plusieurs mois même plus je ne sais même plus… j’étais avec lui. J’ai du mal à croire que ces fiançailles. Cette vie a deux. Tout cela me semble si lointain alors qu’en fait pas tant que ça. Erwan et moi on se connaît depuis l’adolescence. On était un trio d’ami et je me souviens encore. Il a toujours été adorable avec moi. Il savait que mon père me frappait. Mais il savait aussi que j’étais trop fier pour en parler. Il restait discret là dessus et il était là quand même. A l’époque j’en savais rien pour ses sentiments. Peut-être que si j’avais su.. beh je serais pas partie. Peut-être. Je sais pas. J’aurais peut-être pas été le con que j’étais à une époque. J’aurais pas couché à droite à gauche. J’aurais pas été si irrespectueux. Si con. Si arrogant. Si agressif. Si impulsif… même si je suis pas de ceux qui reste dans le passé, il m’arrive parfois de penser à ce qu’aurait été ma vie si je n’avais pas fait tant de mauvais choix. Si j’avais eu des couilles plutôt que d’avoir fait preuve de tant de lâcheté. Mais cela ne sert à rien de songer à tout ça. Cela ne fait que me torturer davantage et alimenter cette culpabilité qui me ronge chaque instant. Je ne veux plus être ce con. Je veux être un homme. Un vrai. Digne d’être le fils de ma mère. Digne d’être celui qui porte ce costume deux pièces aujourd’hui.

Erwan est là à côté de moi. Il a sa tête sur mon épaule alors que j’ai écrasé ma cigarette et je me sens mieux que je ne veux l’admettre. Il a ce don de m’apaiser. Moi qui ne suis qu’une tempête intérieur je me sens mieux à ses côtés et ça me tue de l’admettre. Car nous ne sommes plus ensemble. Il a fait un sacrifice, une erreur que je ne peux pas pardonner. Enfin je crois.. j’ai été blessé. Mais lui… semble avoir vécu son propre enfer. Et je n’étais pas là. Je ne peux l’empêcher de venir… cette Culpabilité. Je ne peux m’empêcher de m’en vouloir d’être parti. J’aurais dû l’affronter. Qui sait… on aurait pu s’engueuler et hurler… puis finir par enfin se marier comme prévu. Mais les choses ne se sont pas passé de la sorte. On ne peut pas revenir en arrière. Après les échanges houleux, le calme entre nous est revenu et j’aimerais que ce silence apaisant dure. Mais il prend la parole. Il ne dit pas grand chose. Mais je sens que cela a de l’importance alors je l’écoute et alors que je prend de nouveau la parole, je le vois sourire du coin de l’œil pour finir par rire légèrement et ce son réchauffe mon cœur pourtant quasi de Pierre aujourd’hui. Je voudrais qu’il se sente libre de venir me voir… j’aimerais qu’il en ai envie aussi tout comme je voudrais le revoir par la suite. Car moi… ma vie dans Erwan ce n’est pas une vrai vie.

Tu m’as manqué. Ces mots me procurent un nouveau frisson et je pourrais chialer en cet instant. Mais je n’en fais rien et je me contente de tourner mon visage vers lui en étirant légèrement les lèvres pour sourire. Je plonge mon regard dans la profondeur de ses prunelles et je l’écoute comme si je l’entendais parler pour la première fois. Même si notre histoire est fini je sais que Erwan reste un être important à ma vie. Il compte plus pour moi que la plupart des gens. Et alors que je le détails je sais que lui aussi m’a énormément manqué. Je ne l’ai jamais nier. Il m’a manqué comme un fou. Puis je m’y étais fais. Sans que ce manque ne viennent plus me procurer ce vide immense dans la poitrine. Je prend la parole lorsqu’il continue et je viens alors passe ma main dans sa tignasse mal coupé : « c’est un super plan ça » puis le sujet vient sur le tapis. Ma mère. Je ne réagis pas trop, si ce n’est mon regard qui s’assombrit un peu. Je regarde devant moi et je soupire. Cela ne me dérange pas d’en parler. Je connais cette histoire par cœur après tout : « oui elle vit avec moi. » je marque une pause et je le regarde alors : « elle est en fauteuil roulant maintenant donc… je l’ai prise sous mon aile. En attendant le tribunal »

Je vois son regard interrogateur et je soupire en retournant mon regard devant moi dans le vide : « mon père a frappé ma mère si bien qu’elle s’est retrouvé à l’hôpital. Elle a faillit perdre la vie et a perdu partiellement l’usage de ses jambes. Cela reviendra avec la rééducation. Mais les dommages psychologiques sont important. Après tout cela faisait des années que... » je serre le poing et prend une profonde inspiration. Mes yeux sont légèrement humide mais je ne craquerais pas : « bref… mon père est pas dispo pour l’audience pour le moment. Et ma mère n’est pas encore en état. Donc je l’ai ramené avec moi. Je prend soin d’elle. Je suis là pour elle… vu que j’ai pas été présent avant.. » je laisse planer un silence qui me paraît bien lourd. Puis alors mon téléphone sonne et je regarde. Un sms de ma mère. Ses rendez vous son terminées. Je me lève alors et range mon téléphone dans ma poche : « en parlant du loup... » je me tourne vers Erwan. Je lui souris malgré tout. Malgré ces retrouvailles étranges. Cette conversation étranges. Malgré tout ça. Je me penche vers lui une main se posant sur sa tête et mon visage arrive en face du sien : « je dois y aller mais hésite pas envoyer un sms si tu veux qu’on se voit. J’ai toujours le même numéro... » je me relève alors et commence à m’éloigner, les mains dans les poches et je finis par me retourner : « toi aussi tu m’as manqué » je fais un clin d’œil et fais un signe de la main. Je dois me dépêcher. Ma mère m’attends.

 

Pando

Parler comme ça avec Orel, de tout et de rien, de la vie, c'était à la fois étrange et si naturel. Etre contre lui, profiter de sa présence. Erwan avait l'impression que le passé venait lui rappeler qu'il y avait aussi de belles choses, que sa vie n'était pas simplement une succession de malheurs et de malchances. Non, Orel, même si les choses s'étaient finies dans la tristesse, Orel était une petite pépite d'or. Erwan arrivait à rire avec lui ce jour-là, sur le banc, même après des années de séparation et une dispute violente. Et voilà qu'il lui parlait de sa mère, ce qui amena la question d'Erwan. Il se souvenait d'elle, de sa douceur. Il se souvenait aussi du père d'Orel, de ce qu'avait été leur enfance à New York. Leur petit duo d'amis, si proches, à tout partager, essayer de se soutenir à travers les épreuves, s'épauler quand on le pouvait. A cette époque-là, Erwan aurait tellement aimé pouvoir faire quelque chose pour Orel. Mais il n'était qu'un enfant, alors quel pouvoir pouvait-il vraiment avoir ? Il savait aujourd'hui ce que c'était, être sous l'emprise de quelqu'un de plus fort, quelqu'un de cruel capable d'utiliser n'importe quel système de chantage. Si l'enfance d'Orel avec son père avait été un tant soit peu similaire à sa vie avec Leo, il ne voulait pas y penser plus longtemps. « oui elle vit avec moi. elle est en fauteuil roulant maintenant donc… je l’ai prise sous mon aile. En attendant le tribunal » En fauteuil ? Le tribunal ? Erwan avait manqué un épisode. Pus que ça même, une saison toute entière. Il regarda Orel, histoire d'en savoir plus, de comprendre. Et quand le récit se développa devant lui, Erwan n'en revenait pas. C'était comme si soudainement, toutes les violences qui avaient à un moment ou un autre, de près ou de loin, existé dans sa vie, étaient arrivées à leur paroxysme. Et comme si cette année amenait avec elle une sorte de résolution, de finalité aux terreurs du passé. C'était horrible, ce que Orel lui racontait, mais au moins, cela voulait dire que son père devrait faire face à la justice. Ce n'était pas une option que lui-même avait laissée à Leo. Et voilà que ses souvenirs revenaient le hanter. « J'espère que tout ira bien maintenant pour elle... pour vous deux » il souffla doucement en esquissant un petit sourire doux. Erwan laissa Orel un peu d'intimité pour lire ses sms, et voilà qu'il annonçait que les rendez-vous étaient finis. « je dois y aller mais hésite pas envoyer un sms si tu veux qu’on se voit. J’ai toujours le même numéro... » Il hocha doucement la tête. Il ne savait pas encore, il avait besoin de penser, de se reposer, de laisser un peu de temps passer. Mais Orel lui avait manqué. « toi aussi tu m’as manqué » lançait encore le jeune homme, avec un clin d’œil. Erwan se sentit rougir... Après tout ce temps et ces épreuves, il lui faisait toujours ce genre d'effet, comme quand ils étaient gamins. L'instant suivant, Orel était parti. Avait tracé vers l'intérieur et Erwan était seul. Il soupira un peu, puis se leva doucement pour retourner dans la petite salle d'attente. Il se sentait épuisé tout à coup. Rejoignant son lit, il se glissa sous la couverture et ferma les yeux.

 

Pando