Cela faisait deux mois et demi que Dean n'avait pas eu l'occasion de se rendre sur Miami, et pour cause : un entraînement sur site qui avait permis d'établir les premiers rapports entre l'équipe nouvellement formée. En effet, le militaire avait obtenu une nouvelle qualification. De Caporal, il était devenu Sergent, et avait ainsi une troupe de neuf hommes sous son commandement. A l'armée, et plus particulièrement dans les forces spéciales, créer un lien était plus que primordial. Il fallait pouvoir compter sur chacun des soldats dépêchés en mission car, sur place, on n'était jamais à l'abri de rencontrer des imprévus. Il n'était pas le plus vieux, mais n'avait pas eu de difficulté à prendre son rôle dans la bande. Ce qui l'avait un peu surpris avait été l'absence de recrues féminines dans le bataillon tenu sous son autorité. L'asiatique avait toujours eu l'habitude de mener formations, entraînements et objectifs avec ce même groupe composé de sept hommes et trois femmes, alors un escadron totalement masculin était une première pour lui.

L'ambiance avait été bonne, et l'entente semblait au rendez-vous, mais les champs de bataille lui manquaient quelque peu, et il trouvait que la période durait depuis déjà trop longtemps. Très longtemps, à dire vrai, et cela présageait une prochaine mission à la hauteur des heures qu'ils passaient tous dix à s'endurcir. Et puis, il y avait aussi une personne à qui il pensait beaucoup, avec qui il continuait de communiquer quand le temps lui était permis de se poser, et elle aussi, il voulait la revoir très vite. Yaël et lui étaient encore en couple malgré les incompréhensions qui avaient pu semer le doute parfois, et ils allaient bientôt fêter leur moitié d'année ensemble. Comme ils l'avaient prédit au départ, rien n'avait été facile jusqu'ici, mais ils s'étaient armés de patience, et avaient trouvé une façon subtile de finir les conversations houleuses : les remettre à plus tard. Heureusement, il n'existait pas que des difficultés entre eux, et de bonnes surprises continuaient à naître pour raviver davantage la flamme.

Cela faisait un moment que le soldat était au courant de son rapatriement sur la Floride, mais il n'en avait rien dit à sa bien-aimée, justement pour espérer la surprendre. Elle avait fait part, quelques semaines plus tôt, de son adoration pour les scènes romantiques que produisaient certaines séries télévisées comme, par exemple, les demandes en mariage lors d'un repas de famille, ou lors d'une sortie entre amis. Ô, il n'était bien évidemment pas question de fiançailles ici, mais l'asiatique avait bien pris note de son besoin typiquement américain de vivre les choses en grand. Alors, au matin du trente août, il avait rejoint l'appartement d'un ami pour se préparer. Pas de costume, mais une tenue beaucoup plus travaillée. Il avait quitté son jeans pour un chino bleu canard qui laissait découvertes ses chevilles. Il l'accompagna d'un T-shirt manches longues retroussées, au col tunisien de couleur écrue, et de mocassins en tissus pour le côté décontracté. Un coiffeur était même venu au domicile pour lui rafraîchir sa coupe.

Avait-il déjà fait autant d'efforts physiques pour quelqu'un ? Certainement pas. Dean était plutôt du genre à aimer rester naturel, à privilégier le temps de gagné que l'apprêt qui durait des plombes. Même si l'effet était plus chic en apparence, ça ne le qualifiait pas vraiment ; pour des occasions rares, pourquoi pas ? Comme aujourd'hui. Il replaça une mèche tombée vers l'avant en un passage de doigts dans sa chevelure épaisse, sous le sourire moqueur et les yeux médusés de son ami d'enfance. Et c'est quand qu'on la rencontre, demanda Salim, adossé contre l'encadrement de la salle de douche qui était la sienne. Te montre pas pressé, répondit-il en examinant le rendu dans le miroir, dis-moi plutôt de quoi j'ai l'air. Peu habitué à parader autrement qu'en uniforme, il lui fallait confirmation sur sa bonne allure en tant que civil maintenant. Et ce n'était pas pour rien qu'il avait contacté l'un de ses potes pour se préparer aux retrouvailles avec Yaël.


Un dernier passage dans un magasin festif pour y acheter des ballons rouges, à l'inscription fort significative de l'amour qu'il portait à sa belle, et Dean marcha jusqu'à l'hôpital où cette dernière travaillait. Aux dernières nouvelles, celle-ci était en activité de jour, et il avait toutes ses chances pour l'y croiser. Les portes passées avec ses sept grosses bulles d'air attachées à une ficelle dorée, en silhouette sculptée par la préparation militaire, il s'adressa à l'accueil : bonjour, euhm ; par où commencer ? Je voudrais savoir si Mad'moiselle Graham est de service là, tout de suite, continua-t-il malgré les yeux de la jeune femme rivés sur les sphères flottantes, elle est interne. Et, forcément, cette demande fut un poil surprenante lorsqu'on connaissait un minimum la concernée. Il lui avait été demandé de ne rien dire concernant leur relation, et paraissait toujours autant célibataire, de ce fait. Alors, que voulait cet homme aux baudruches « I love U » ?

Heureusement, il n'eut pas à se justifier davantage, puisque la future médecin apparut dans le couloir des urgences, prête à aller à la rencontre des patients. Il quitta de quelques pas en arrière le comptoir, et se posta en plein milieu du chemin qu'il fallait emprunter pour rejoindre la salle d'attente. Il sourit avant même qu'elle ne le remarque, avant même qu'elle capte que c'était lui, qu'il était bien de retour. Ça avait été dur de garder le secret de son congé programmé. Yaël, l'interpella-t-il sans avoir à hurler, avant d'agrandir son esquisse, et de laisser apparaître toutes ses dents, surprise, s'exclama-t-il, les ballons toujours accrochés au bout de son bras. Et pour une surprise, ça en était une bonne, pas vrai ? Ne manquait plus qu'à espérer qu'elle pourrait se libérer rien qu'une heure pour qu'ils puissent déjeuner ensemble à une table de restaurant.


LMLYD

Le dossier qu'elle tenait en mains s'ouvrit au contact du sol, et les papiers s'éparpillèrent tout autour. Malgré son professionnalisme, Yaël ne prit pas la peine de ramasser le tout, fit même abstraction du bazar pour rejoindre Dean et l'étreindre de ses bras autour de son cou. Le jeune homme l'agrippa à son tour, étonnement démonstratif, de son membre autour de sa taille ; il ne lâcha pas les ballons gonflés à l'hélium de l'autre. Contrairement à la brune, il put sentir les paires d'yeux sur leurs retrouvailles, les sourires attendris, mais également l'impatience de certains patients venus accompagnés de leur mauvaise humeur. Ça le mit mal à l'aise, plus parce qu'il n'était pas habitué que parce qu'il ne se sentait pas prêt, pourtant il resserra l'interne contre lui, peut-être pour vaincre cette timidité qui le rendit muet. Grâce à ça, sa première impression s'évapora pour le laisser profiter du moment. Il avait attendu de la revoir depuis plus de deux mois, et un sentiment de bien-être l'envahit entièrement, à tel point qu'il en soupira.

Il ne l'avait pas prévenu de son retour, avait simplement dit qu'il serait présent pour le mois de septembre, réponse un peu vague qu'il avait donnée dès lors que le sujet tournait autour de ses congés. Il fut plus qu'heureux que la surprise ait pu perdurer jusqu'à ce jour, et ne put s'empêcher d'afficher un sourire fier aux mots de sa chère et tendre. Il profita de la proximité pour déposer un baiser sur la tempe, du bout de ses lèvres, avant qu'elle ne se recule pour exclamer son étonnement de le trouver ici. C'était vrai qu'ils avaient conclu, dès le départ, qu'il était préférable que leur relation amoureuse reste un temps vivante rien que pour eux, de façon à consolider leur lien et se faire à la distance qui s'inviterait très souvent au sein de leur couple. Dean en avait été l'initiateur, et il avait trouvé normal qu'il soit celui qui y mette fin. La demoiselle avait montré une certaine difficulté à contenir sa joie et à mentir aux gens de son entourage lorsque les questions venaient à naître, c'en était assez de la torturer.

J'ai pensé que ça serait plus facile pour moi de me contenir si tu m'enlaçais devant une dizaine de personnes, murmura-t-il, de façon à ce que cette réponse ne puisse être entendue que par la concernée. Ils avaient souvent parlé de sujets plutôt divers, mais il leur était arrivé également de virer à des connotations un peu plus joueuses dans leurs échanges, voire sexuelles. L'une d'entre elles pouvait expliquer cette phrase qu'il voulait préserver, un petit jeu sur qui pourrait craquer en premier. Rien ne s'était encore passé entre eux, plus parce que Yaël respectait Dean et ses convictions que parce qu'ils n'en ressentaient pas le désir et le besoin. Ils restaient de jeunes gens ayant déjà goûté aux plaisirs de la chair, et ça n'aidait pas toujours à garder la tête froide. Ils avaient pourtant déjà dormi sous le même toit, dans les mêmes draps, et ça s'était très bien passé. Ils n'avaient pas été pris d'une fougue à leur faire brûler les étapes, et le militaire espérait sincèrement qu'ils puissent durer ainsi jusqu'aux vœux.

Il reprit son sérieux et, tout en venant chercher la main de sa douce de la sienne, dit : tu m'as prouvé ta bonne volonté de satisfaire ma réserve, je crois qu'il est temps que j'arrête d'en abuser, non ? Cela faisait bientôt six mois qu'ils gardaient secret leur bonheur, ils n'allaient tout de même pas faire ainsi jusqu'à ce qu'ils se marient. Le fait d'avoir mes congés pour les fêtes de fin d'année, et t'avoir proposé qu'on rencontre nos parents respectifs à ce moment-là, m'ont fait beaucoup réfléchir avant de partir, confia-t-il à Yaël et, tout en portant les phalanges de cette dernière à ses lèvres, dans un chuchotement il demanda : t'es quand même pas fâchée ? Mademoiselle Graham pouvait se montrer imprévisible, et de nombreuses fois ses agissements lui avaient fait monter la colère jusqu'à envahir son regard bleu. Dean était un homme, mais il lui arrivait de temps en temps de lâcher prise et agir, de ce fait, tel un imbécile. Son humour pouvait aller trop loin, sa jalousie aussi, et parfois son éducation religieuse ne coïncidait pas avec celle de la brune.

Ce fut le moment où un individu habillé d'une blouse blanche osa les interrompre après avoir parcouru les mètres qui séparaient les portes battantes des urgences et le couple. Dean lâcha immédiatement les doigts de sa copine et l'intrus s'adressa à l'étudiante en médecine en utilisant des mots que le sous-officier peinait à comprendre. Il profita alors de cette conversation professionnelle pour lire le badge qui se trouvait côté cœur de l'homme, et découvrit qu'il s'agissait de Jonas, celui-même dont Yaël lui avait tant parlé, à tel point qu'il l'avait directement rangé dans les mecs à abattre. Sa réaction ne se fit pas attendre : il haussa les sourcils en direction du fameux collègue et commença à jouer de sa bouche. Les traits de son visage mentirent encore moins quant à l'agacement qui le submergeait. On le faisait passer pour un fantôme, et on jetait des regards et mimiques complices à sa bien-aimée ; pathétique. L'asiatique sentit que ce type n'était rien qu'un imposteur, il n'avait besoin de rien de plus pour être convaincu.

Lorsqu'il partit enfin, adressant une simple salutation à Dean, celui-ci suivit son déplacement vers la salle d'attente avant d'affirmer : le fameux Jonas. Le ton était rustre et grave, de quoi faire comprendre qu'il ne le portait pas dans son cœur, et ne l'y porterait jamais, qu'importait ce que pourrait dire ou faire la future médecin pour retourner la situation. J'imagine qu'on verra pour les présentations plus tard, supposa-t-il ; et valait mieux. T'aurais un peu de temps pour qu'on déjeune ensemble, interrogea-t-il sa vis-à-vis, et pour l'en persuader, il ajouta : je suis quand même rentré dans l'hôpital avec des ballons rouges sur lesquels est inscrit que je t'aime... Tu me dois bien ça, non ? Il lâcha un petit souffle rieur avant de tenter l'air du chien battu ; il paraît que ça fonctionnait sur quatre-vingt pourcent des femmes. Je suis prêt à attendre que tu termines de visiter tes prochains patients, insista-t-il. Elle l'avait tant attendu qu'il pouvait faire cet effort à son tour.


LMLYD

Il avait gardé son air agacé, car sympa ou non, il n'appréciait clairement pas la façon dont il se comportait avec Yaël. Depuis le début, Dean avait classé Jonas dans la case des mecs qui jouaient aisément le rôle du super pote pour mieux attirer les demoiselles dans ses filets. Et ça semblait fonctionner, puisque l'interne ne paraissait pas vouloir monter la garde. Tant pis, le militaire allait prendre à cœur d'éviter qu'on fasse de sa copine une proie à la séduction. Jaloux ? Pire, possessif ! Et il n'en démordra jamais. Ce qui n'aidait pas était le fait qu'il avait grandi dans une famille iranienne et musulmane, dans laquelle la relation homme/femme restait plutôt limitée. On ne pouvait pas le blâmer de détester savoir les yeux d'autres mâles dévier sur les courbes de sa promise lors d'une journée à la plage, entendre des petits noms glissés d'entre les lèvres de ce collègue, ou voir ses cheveux être caressés par les doigts de celui-ci devant un hôpital tout entier. Il la voulait rien que pour lui, en totale exclusivité.

Mais le soldat n'était pas revenu pour jouer le chien enragé, entraîné à protéger sa maîtresse. Il proposa un déjeuner en tête-à-tête à la future médecin, et insista même afin qu'elle accepte. L'heure à laquelle ils pourraient se retrouver importait peu. De toute façon, en arrivant à l'improviste, le jeune homme savait d'avance qu'il n'aurait pu réserver une table par anticipation. Occupe-toi de tes patients, et rejoins-moi après, fit-il, calmement, je ne suis pas à une heure près. Il la rassura, elle affirma être d'accord. Essaye de ne pas les tuer, se moqua-t-il, alors qu'elle promit d'être rapide pour les ausculter. Cette blague ne fut pas au goût de la jeune femme de l'accueil, mais il fallait remettre cette phrase dans son contexte, et Dean avait un rapport à la mort bien différent de ces gens qui travaillaient au sein de cet établissement. Avant qu'elle ne le quitte, l'asiatique attrapa son bras pour lui rendre le baiser qu'elle lui avait volé plus tôt ; peut-être avec l'espoir qu'il ne passe pas inaperçu aux yeux de Jonas aussi.

Le sous-officier quitta l'hôpital accompagné de ses ballons, et trouva un endroit contre lequel s'adosser le temps que Yaël termine ses dernières missions. Pendant ce temps-là, il fit attention à ce que les baudruches ne s'envolent pas, en prit soin à tel point que le regard des passants se figeait sur lui avant qu'ils ne reprennent leur chemin. Ça lui parut fort gênant les premières fois, puis ne l'atteignit plus. Il s'amusa même à deviner ce que pouvait penser chacun d'eux en fonction des mimiques qui gagnaient les traits de leur visage. Certains devaient penser qu'il avait été rejeté par l'une des patientes, qu'il sortait d'un mariage apportant un blessé de l'événement, ou qu'il allait demander en fiançailles une jeune femme travaillant en ces lieux. Cette dernière option demanda à quelques Miamiens de patienter pour, peut-être, être témoin de la scène, mais les minutes passant, et le train-train quotidien les rappelant, ils décidèrent de laisser tomber cette idée. Heureusement, ils auraient pu se montrer déçus.

L'étudiante réapparut derrière les portes automatiques, et Dean attendit qu'elle le rejoigne. Elles te vont bien, ces couleurs, la complimenta-t-il sincèrement avant de se redresser. Je pensais manger dans un resto juste à côté, ça nous permettrait de ne perdre aucune des minutes qui nous sont accordées, comme ça, dit-il, intelligemment. Il proposa alors sa main afin qu'elle y glisse la sienne, et ils se mirent en route, scrutés de haut en bas à cause de ces fameux ronds volants qui les suivaient sagement. Ça va tes jambes, interrogea-t-il sa compagne, t'avais l'air de courir partout quand je t'ai vue. Il revenait ainsi au bon moment de ses entraînements : il saura la détendre de ses massages et ses câlins, assurément. D'autant plus qu'il n'était pas trop fatigué, car les derniers jours l'avaient gardé bien au chaud, à l'intérieur du bâtiment du régiment. Et les patients, rien de grave j'espère, s'autorisa-t-il à demander, car même s'il existait le secret professionnel, il ne voulait pas connaître tous les détails.

Ils passèrent devant un restaurant qui ne semblait pas bonder, et Dean fit quelques pas en arrière avant de supposer qu'ils pourraient déjeuner à cet endroit. T'as combien de temps, voulut-il savoir ses horaires, et ainsi être certain de la vitesse à laquelle le repas devrait se passer. Au moins prendre un plat et un dessert, assura-t-il leurs arrières d'un ton interrogatif. Il lâcha sa main et l'invita à entrer en première. Une fois à l'intérieur, ils furent conduits à une table, et le militaire attacha les sept ballons à la chaise sur laquelle il prit place, juste en face de sa copine. Je suis heureux que ça ait fonctionné, confia-t-il à Yaël, j'étais vraiment pas sûr de garder le secret jusqu'à la fin, t'étais tellement insistante quant à mes dates de retour. Il ne put s'empêcher de rire. Combien de fois lui avait-elle demandé ? Autant de fois qu'ils s'étaient contactés, pour sûr. Mais à présent, il pouvait uniquement se concentrer sur la façon dont ils allaient profiter de ses congés.

Choisis de quoi regagner des forces, lui passa-t-il l'un des menus laissés au milieu de la table, puis il en prit un également. Ils n'eurent pas le temps de faire leur choix qu'un serveur vint à leur rencontre et demanda : c'est pour une demande en mariage récente ? Nous avons un menu spécial pour ce genre d'occasion. Dean avait déjà tourné sa tête vers l'homme de salle, mais ses sourcils se levèrent l'un puis l'autre. Son interlocuteur pointa les ballons des yeux, et le brun secoua négativement la main pour lever le quiproquo. Oh non, ce sont de simples retrouvailles, prévint-il son vis-à-vis qui hocha la tête, même si ça lui paraissait un peu gros pour de « simples retrouvailles ». Il retourna à son poste, lésé. J'n'aurais jamais fait ça sur ton lieu de travail, je retiens trop bien mes leçons, plissa-t-il les paupières, tout en s'adressant à son invitée. N'avait-elle pas déjà émis une préférence ? Du coup, tu prends quoi, lui demanda-t-il.


LMLYD