es jours s'enchaînaient, tous semblables. La semaine avait été assez dure, après être rentré du Mexique. Après avoir déposé Nessa à l'adresse qu'elle m'avait indiquée (j'ignorais totalement chez qui c'était), j'étais rentré directement chez moi. J'étais complètement exténué. La route m'avait fatigué, et j'avais du lutter pour ne pas m'endormir au volant. Je comptais me coucher en rentrant, mais c'était sans compter sur Blake qui m'avait presque fait une scène. C'est vrai que j'avais quelque peu oublier de le prévenir de mon absence. Il s'était pas mal inquiété, d'autant plus qu'il connaissait mon état psychologique. Du coup, à peine avais-je franchi la porte que je m'étais retrouvé nez à nez avec un Blake frôlant l'hystérie. Je n'ai même pas pu lui dire où j'étais ; comment lui dire que j'étais allé au Mexique avec une fille qui m'était presque inconnue ? Après cela, j'avais dormi toute la journée et la journée suivante. Quand j'étais revenu au travail, deux jours après être rentré, j'avais manqué cinq jours. J'ai sorti à mon patron l'excuse du problème familiale/dépression/etc, et encore une fois, il a été très compréhensif. La semaine qui a suivi a été, comme je le disais, très dure. Mon corps, empli de substances illégales pendant trois jours non-stop, supportait mal ce sevrage brutal. Chaque cigarette me donnait la migraine et la nausée, et je devais toujours porter des lunettes de soleil les premiers jours, car la lumière m'aveuglait. C'était sans aucun doute la pire redescente de ma vie.

Enfin, les effets s'étaient quasiment tous estompés après une semaine et demie. Je n'avais pas eu de nouvelles de Nessa —en fait, je n'avais même pas penser à prendre son numéro. J'étais assez stupide, quand je le voulais. J'espérais juste qu'elle allait bien. J'aurais bien aimé la revoir, mais bon, elle avait sûrement d'autres chats à fouetter et ses propres soucis à gérer. Et sa redescente avait également dû être compliquée, puisqu'elle s'était plus défoncée que moi. Nous allions bien finir par nous recroiser quelque part. Je l'espérais, du moins. On était samedi, et j'avais décidé d'aller faire quelques courses alimentaires. Ça ferait plaisir à Blake de ne pas avoir à les faire. Je lui avais causé assez de soucis ces derniers temps. Je marchais donc dans la rue, retournant à l'appart, sac en plastique à la main. Il faisait un temps magnifique et c'était assez agréable de se balader sous ce soleil. Je croisai alors une personne qui semblait dormir, adossée à un bâtiment. Son manteau la recouvrait. Je passai au début sans y prêter attention, puis ces cheveux me revinrent. Ils ressemblaient comme deux gouttes d'eau à ceux de Nessa. Bouclés, long, bruns avec des reflets plus clairs. Ça ne pouvait pas être elle…? Je m'approchai de la personne. Elle leva la tête. C'était Nessa, et elle n'avait pas l'air très fraîche. Elle semblait épuisée et était très pâle. « Nessa…? » dis-je, très étonné de la trouver là. Je m'accroupis auprès d'elle et posai mes affaires. « Qu'est-ce que tu fais là ? Ça va ? » Je n'aurais jamais dû la laisser. J'aurais dû insister pour qu'elle vienne à l'appart. « Ça fait combien de temps que t'es là ? » fis-je d'un ton compatissant.  

a pauvre, elle n'avait pas l'air bien du tout. Maintenant que j'étais juste à côté d'elle, je me rendais compte qu'elle n'était pas seulement fatiguée. Elle était complètement shootée, défoncée. Je ne savais pas ce qu'elle avait pris, mais ç'avait l'air violent. Elle n'arrivait même pas à ouvrir les yeux, et elle n'avait aucune réaction quand je l'appelais. De plus, elle semblait frigorifiée. C'était pas possible, elle cherchait vraiment à se détruire. Nessa avait dû ingurgiter une sacrée dose de drogues, de médocs et d'alcool pour être dans cet état. Normalement, elle était assez résistante ; elle pouvait avaler beaucoup de choses avant d'être mal. Mais là, c'était pire qu'être mal. On aurait dit un zombie. Pourquoi avait-elle fait ça ? Elle connaissait ses limites et elle devait très bien savoir qu'elle les avait dépassées. Je n'aimais pas du tout la voir comme ça. Et elle avait de la chance que ce soit moi qui l'ai trouvé. N'importe quoi aurait pu lui arriver, elle était si vulnérable à présent…

Nessa se pencha sur le côté et vomit. Bon, je n'étais pas au top du glam, là. Mais honnêtement, je m'en contrefichais. « Charlie… » fit-elle d'une voix embuée. Ça me faisait vraiment mal de la voir comme ça. J'avais en face de moi la Nessa détruite, au plus bas. Au moins, elle me reconnaissait. Je pensais qu'elle n'y arriverait pas, vu son état, mais au moins elle savait qu'elle était en relative sécurité. Bon, allez, assez cogiter. Il fallait que j'agisse en Batman que j'étais. J'attrapais mon sac en plastique et sortis une bouteille d'eau. Il fallait à tout prix qu'elle boive, ça laverait en quelque sorte son estomac. J'étais devenu assez expert de ce genre de situation. Je plaçai la bouteille au niveau de sa bouche et la forçai à boire. Elle se sentirait mieux après cela. Voyant qu'elle grelottait, je retirai ma veste et entourai ses épaules avec. L'autre veste, celle dont elle s'était déjà enveloppée, devait appartenir à un garçon, vu sa coupe. « Ça serait pas une veste d'homme que tu portes ? J'vais être jaloux » plaisantai-je légèrement. J'ignorais si elle entendait ou si elle comprenait ce que je disais, mais bon. L'eau lui ferait sûrement du bien. Je vins m'asseoir auprès d'elle —en faisant bien attention de ne pas toucher le vomi— et l'entourai de mes bras, tentant de la réchauffer. « Je vais finir par m'habituer à te sauver… » fis-je avec un petit sourire. Il fallait vraiment que je la ramène chez elle, mais elle n'était pour le moment pas en état de marcher. En plus, je ne savais pas où elle habitait. Elle non plus, apparemment. « Nessa, tu as pris quoi ? Héro, médocs…? ».

e n'aimais vraiment pas voir Nessa comme ça. Habituellement, je n'étais pas un garçon particulièrement empathique, tout simplement parce que j'étais une vraie quiche concernant les relations humaines. Je n'avais aucun tact et j'avais l'art de dire ce qu'il ne fallait pas. Donc je me taisais. Je n'étais pas non plus quelqu'un de protecteur ; en général, je laissais les gens faire leur vie tandis que j'essayais de faire la mienne de mon côté. Mais c'était différent avec Nessa. J'ignorais pourquoi mais j'avais envie de l'aider. J'avais envie d'être là pour elle et je voulais qu'elle aille mieux. Nous nous connaissions depuis assez peu de temps mais c'était une fille hors-norme, dans le bon sens du terme. Elle était particulière. Et je savais qu'elle souffrait énormément. Déjà à cause de sa maladie, mais aussi parce qu'elle avait un lourd passé. Je le devinais, bien qu'elle ne m'en ait jamais parlé. De plus, je la comprenais. Ce sentiment de vouloir tout abandonner, de ne plus avoir la force de rien… La seule chose qui me retenait de ne pas finir comme Nessa, sur un trottoir avec un taux d'alcoolémie dans le sang bien trop élevé, c'était mon traitement. Ne devoir sa survie qu'à des médocs était une idée qui me révoltait pas mal. Et puis au fond, je me disais que je ne pouvais pas infliger ça à ma famille. Même si, pour moi, je n'en n'avais plus parce que j'avais fui comme un lâche, ma mère serait détruite par ma perte. Elle n'avait pas besoin de ça. Enfin. De toute façon, je ne lui avais pas adressé la parole depuis l'enterrement de June. Pas un appel. J'étais un fils horrible.

Nessa sourit doucement à mes plaisanteries. Au moins, elle me comprenait à peu près, désormais. C'était un début. L'eau lui avait fait du bien. Quand je vous disais que j'étais un expert de ce genre de situation ! Nessa posa sa tête contre moi. J'entendais sa respiration, au début irrégulière, se calmer un peu. Ça me rassurait de sentir qu'elle était soulagée que je l'ai trouvée. Vu la situation dans laquelle elle se trouvait, elle devait être complètement paniquée. Enfin, à sa place, j'aurais peur de clamser comme ça, dans la rue. Mais peut-être qu'au fond, elle s'en fichait pas mal de mourir. Ce n'était pas à exclure. « Des pilules, de la poudre.. Beaucoup trop de vodka. Tout ce qui me passait sous la main. » Le bon cocktail de soirée, en somme. Il ne fallait jamais mélanger drogue et alcool, c'était mortel. Je n'étais pas mieux sur ce sujet, mais je connaissais (à peu près) mes limites. Ensuite, Nessa sourit. Elle était jolie quand elle souriait, enfin quand elle affichait un sourire sincère comme maintenant. Et même si elle avait du maquillas partout et une tête à faire frémir les zombies de The Walking Dead, elle était belle. Elle sortit sa main de ma veste et caressa doucement la joue. C'était un geste doux, et bizarrement, réconfortant.  « Pourquoi tu t'en soucis..? » Je lui pris la main et la reposai. Il ne fallait pas qu'elle fasse d'efforts inutiles ; même si en soi caresser une joue ne nécessitait pas un grand effort physique, elle était physiquement faible et elle devait s'économiser si elle voulait pouvoir être capable de rentrer chez elle. Je gardai cependant sa main dans la mienne. « Parce que t'as pas le droit de te faire ça, Nessa » fis-je avec un petit sourire triste. J'étais mal placé pour lui dire ça. Mais d'un autre côté, je connaissais bien tout ça et j'arrivais à me mettre à sa place. « T'es une fille bien, et même si toi tu le penses pas, moi je le sais. J'en suis persuadé. Et tu ne mérites pas ça » continuai-je, choisissant mes mots avec soin. C'était pas le moment de dire quelque chose de déplacé. « T'es jamais seule, sache-le. Y'a des gens autour de toi qui t'aiment, même si tu peux penser que non. Crois-moi qu'ici il y a bien au moins une personne qui tient à toi, et même s'il n'y en a qu'une, ça vaut le coup que tu te battes pour elle ». Plus facile à dire qu'à faire. J'espérai qu'elle était assez éveillée pour entendre ce que je venais de dire, parce que c'était vachement beau. Fallait que je pense à l'écrire quelque part.

e n'aurais jamais cru, en rencontrant Nessa, qu'un jour j'allais lui tenir ce genre de discours après l'avoir vu vomir. Non, vraiment, je ne l'aurais jamais imaginé. Au début, elle se comportait comme une vraie petite garce. Pas reconnaissante pour un sou. Et pourtant, j'avais eu comme une intuition. Comme si je savais que Nessa Tate ne se résumait pas à cette apparence de pétasse. Comme si j'avais deviné que ce n'était qu'un rôle, un masque qu'elle revêtait pour se protéger. Et obstiné comme je l'étais, je m'étais un peu accroché à elle telle une moule sur son rocher. Quand je la voyais, je la lâchais plus ; elle s'énervait sur moi, mais ça me faisait tellement rire ! Au final, elle a du s'habituer à ma présence, puisqu'elle est devenu (un poil) plus douce à mon égard. Et il y a eu le Mexique... L'abus complet de toutes les substances possibles. L'abus de tout ce qui pouvait être abusé, en fait. Nous nous étions vraiment rapprochés à ce moment-là, et c'est dans un pick-up au milieu du désert mexicain qu'elle avait enfin fait tomber son masque. Son vrai visage, elle n'avait pas du le montrer à beaucoup de gens, et je me sentais un peu comme investi d'une mission. Peu de gens devaient connaître sa maladie, aussi je me devais de l'aider. Et puis, je comprenais si bien ce qu'elle ressentait.

Je savais cependant que malgré toute l'affection que j'éprouvais pour cette fille, il n'y aurait rien de sérieux entre nous, du coup pas pour l'instant. Déjà parce que d'après le peu que j'avais compris, Nessa n'avait pas été la plus heureuse en amour, et aussi parce que nos états mentaux respectifs ne nous le permettaient pas vraiment. Enfin, deux fêlés ensemble... Moins et moins font plus, après tout. Et puis, si ça se trouvait, Nessa ne me voyait que comme un garçon de passage, un flirt rapide. Ce qu'en soi je pourrais très bien comprendre. Malgré son air fatigué et ses yeux malades, je savais que Nessa m'écoutait, ou du moins, faisait un réel effort pour me comprendre. Une lueur, bien que faible, sembla s'allumer dans son regard. Je savais qu'elle m'avait entendu, et compris. Elle passa lentement ses bras autour de mon cou et me serra avec le peu de force qui lui restait. Nessa... Pourquoi faisait-elle ça ? Elle était si jeune, si pleine d'opportunités... Elle n'avait pas le droit de tout gâcher. Je pensais que le principal problème était son manque d'estime pour elle-même. Elle était persuadé qu'elle allait mal finir, elle semblait même avoir perdu tout espoir. Alors que moi je savais qu'elle pouvait s'en sortir. Il fallait juste que quelqu'un lui redonne l'envie de se battre encore. « Ramène moi à la maison. » me demanda-t-elle doucement. Mais quelle maison ? Nessa ne m'avait jamais dit où elle habitait. J'en venais même à croire qu'elle n'avait pas de maison. N'avait-elle donc aucun ami ici, aucune personne qui veuille bien l'accueillir ? Était-elle aussi seule que cela ? Faute de savoir où elle habitait, je décidai de la ramener chez moi. Blake allait encore dire que je ramenais trop de filles à l'appart, mais c'était différent, là, c'était Nessa. De toute façon, même si elle avait eu quelque part où aller, je serais resté avec elle. « Écoute, je pense que tu es encore un peu faible pour aller où que ce soit. Mais promis, je t'emmène dans un endroit sûr » répondis-je doucement. J'entrepris alors de la porter jusqu'à un banc, quelques mètres plus loin, au Soleil. Le trajet fut long, car les jambes de Nessa répondaient moyennement. Une fois installée, je passai mon bras autour de ses épaules. Au bout d'un moment, et pour une raison inconnue, je déclarai : « Hey, Nessa, tu sais que je t'aime, moi ? ». Il fallait qu'elle sache qu'elle n'était pas seule dans ce monde froide et hostile.

uais, je n'aurais peut-être pas du dire cela aussi abruptement. C'était assez soudain. En même temps, je n'avais pas dit cela dans le sens où j'étais amoureux d'elle et tout le tralala. Je l'aimais, je l'appréciais, quoi. Mais c'était la première fois que je lui disais véritablement. J'estimais que c'était toujours bien d'avoir une personne qui nous soutienne, même lorsque l'on ne veut pas de soutien. J'étais à peu près sur de la réaction de Nessa. Pas trop difficile à prévoir, en même temps. Je l'avais aidé une fois, je m'étais fait envoyé paître. Je m'attendais donc à une réaction semblable. Alors, pourquoi est-ce que j'avais dit ça si je savais comment elle allait réagir ? Aucune idée. Peut-être juste l'envie de m'exprimer. Nessa, en fait, je commençais à le comprendre, était terriblement seule. Et elle avait dû l'être depuis très longtemps. Elle avait appris à se débrouiller toute seule, mais forcément, apprendre à vivre seule, c'est aussi apprendre à vivre sans amour. Et dès que ça lui arrivait, elle était sur la défensive. C'était une réaction normale et compréhensible. Je la comprenais tellement bien. J'avais l'impression de la connaître depuis des lustres. J'aurais du faire psy, au final, je me révélai assez fin aujourd'hui.

À peine avais-je prononcé les mots interdits que je sentis Nessa tressaillir à côté de moi. Elle se redressa et s'éloigna de moi. Je le savais. « Dis pas ça. » me lâcha-t-elle. Elle semblait avoir récupérer un peu de son énergie, même si elle avait la mine fatiguée et que sa voix était basse. « Tu m'aime pas. C'est pas vrai. Pourquoi tu me ment ?! » Un petit sourire se dessina sur mes lèvres. Ah, Nessa, délicieuse Nessa, si complexe mais si attachante… Elle n'acceptait l'amour de personne et pourtant, de l'amour, c'était ce dont elle avait le plus besoin actuellement. Elle avait besoin d'amour et de soutien, et personne ne semblait lui apporter ça. Et c'était compréhensible, si elle rembarrait tout le monde ainsi. Mais moi, je ne m'arrêterais pas à ça. Fallait voir plus loin que ça. « Et pourquoi je te mentirais ? Qu'est-ce que j'aurais à y gagner, dis-moi ? Ce que je veux dire par là, c'est que tout ce que je veux, c'est t'aider. Parce que ouais, je t'apprécie. C'est un crime de t'apprécier ? » J'avais dit tout cela d'un ton très doux. Je n'avais que bonnes intentions envers Nessa. Mais elle avait dû être tellement blessée dans sa vie qu'elle ne devait plus faire confiance… Mais moi, elle pouvait me faire confiance. Si seulement elle pouvait le comprendre ! « Tu peux me faire confiance. Je sais que c'est un bien grand mot, mais je ne pense pas que jusque là, je t'ai donné ne serait-ce qu'une raison de ne pas me faire confiance » continuai-je.